"Un jour, j'ai assisté à la messe de Pâques d'un monastère copte dans le désert en Égypte : trois heures de beauté hors de ce monde. À une autre occasion : à un mariage russe orthodoxe à Saint-Pétersbourg. Et bien entendu à toutes ces célébrations au Congo, magnifiques, exubérantes, interminables. (..) En automne, l'an dernier, j'ai reçu une invitation à venir parler de mon travail à l'abbaye d'Orval. Après ma conférence, j'ai pu les accompagner à leur prière du soir. Dans l'église Art déco gagnée par la pénombre, une poignée d'hommes en habit sombre ont chanté le Salve Regina, pour clore la journée. Dehors s'étendaient les bois froids. Les moines se sont tournés vers le vitrail éclairé en hauteur dans l'église. Je ne voyais que leurs dos, leurs dos dont les épaules se voûtaient après chaque ligne du chant grégorien pour une nouvelle inspiration. Et j'étais là debout, athée, réconforté par de vieux mots, de vieux gestes et tant de beauté."
David Van Reybrouck
Comment nommer cette dilatation de l'être plongé dans l'unicité d'un
moment vécu, le début ou la fin d'une histoire personnelle, le sentiment
aigu d'être en vie et de bénéficier d'une beauté qui transcende les
générations. Cette beauté "qui rayonne en façade et en intérieur des
bâtiments et monuments, y compris les lieux de culte, cathédrales,
temples, synagogues, mosquées; elle est dans les sculptures de places
publiques, les musées, sous les porches, dans les cours et jardins. Elle
est à portée de regard si la vie rude laisse le temps de lever les
yeux, de faire place à la légèreté ne serait ce que quelques brèves
minutes chaque jour (*).
Lu dans:
David Van Reybrouck. Odes. Trad. Isabelle Rosselin. Actes Sud. 2021. 260 pages. Extrait pp 120-121
David Van Reybrouck. Odes. Trad. Isabelle Rosselin. Actes Sud. 2021. 260 pages. Extrait pp 120-121
(*) Christiane Taubira. Murmures à la jeunesse. Philippe Rey éd. 2016. 94 pages. Extrait pp.68-69
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