14 décembre 2019

Une ode à l'Europe


"Qui sommes-nous maintenant ?
Ce que nous partageons,
C’est d’avoir traversé le feu,
D’avoir été, chacun,
Bourreau et victime,
Jeunesse bâillonnée et couverte de sang.Ce que nous partageons,
C’est l’humanisme inquiet.
"Nous savons ce que l’homme peut faire à l’homme,
Nous connaissons l’abîme,
Nous avons été avalés par sa profondeur.
Ce qui nous lie, c’est d’être un peuple angoissé,
Qui sait l’ombre qui est en lui.
L’Europe, c’est une géographie qui peut devenir philosophie.
Un passé qui veut devenir boussole.
Un territoire de cinq cents millions d’habitants,
Qui a décidé d’abolir la peine de mort,
De défendre les libertés individuelles,
De proclamer le droit d’aimer qui nous voulons,
Libre de croire ou de ne pas croire,
Nous sommes humanistes et cela doit s’entendre dans nos choix,
Aucun Dieu unique en Europe,
Aucun panthéon devant lequel s’agenouiller.
Le territoire est vaste et doit le rester.
Nous avons construit un continent Babel,
Étrange et compliqué, qui ne tient que dans cet équilibre subtil,
Entre indépendance et fraternité. »
            Laurent Gaudé. Nous l’Europe, banquet des peuples.


Dans une vaste ode à l’Europe, récompensée par le Prix du livre européen, Laurent Gaudé invente les mots pour redire le sens, le besoin, la force de l’Europe. Reviennent à l'esprit les lignes de feu de Christine Taubira: "Est-il possible que personne ne sache dire, avec les mots de la vie publique, que nous vivons et résistons ensemble? S'il en est ainsi, que l'on s'empare alors des mots des poètes! Les mots de Louis Aragon qui mêle dans de mêmes amours et les mêmes actes de résistance ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n'y croyaient pas. Ou les mots d'Antoine de Saint-Exupéry qui sait faire créer le navire non en enseignant à hisser les voiles, forger les clous, lire les astres, mais en faisant naître dans le cœur des hommes le désir de la mer, le goût d'être ensemble. Avons-nous à ce point désappris à dire?"


Lu dans:
Laurent Gaudé. Nous l’Europe, banquet des peuples. Actes Sud. 2019. 182 pages. Collection : Domaine français.
Christiane Taubira. Murmures à la jeunesse. Philippe Rey éd. 2016. 94 pages. Extrait pp.68-69

Aucun commentaire: