28 février 2019

"Être vieux c'est être jeune depuis plus longtemps que les autres."
                        Philippe Geluck
 
 

27 février 2019

Ton père, ce silence


"Je me souviens, c'était un matin, l'été,
La fenêtre était entrouverte, je m'approchais,
J'apercevais mon père au fond du jardin.
Il était immobile, il regardait
Où, quoi, je ne savais, au-dehors de tout,
Voûté comme il était déjà mais redressant
Son regard vers l'inaccompli ou l'impossible.
Il avait déposé la pioche, la bêche,
L'air était frais ce matin-là du monde,
Mais impénétrable est la fraîcheur même, et cruel
Le souvenir des matins de l'enfance.
Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière,
Je ne le savais pas,  je ne sais encore. "
                    Yves Bonnefoy
 
Soudain, ce vieux patient bougon me raconte un moment précis de son enfance. Il a quatre ans, avec sa mère, sur le quai de la gare il attend un train qui vient d'Allemagne. Un homme voûté descend du train, s'avance. "Voilà ton père". "On ne s'est rien dit, ni ce jour, ni après. Septante ans plus tard, je regrette encore ce silence."

 
Lu dans:
Yves Bonnefoy. Les Planches courbes. Collection Poésie. Gallimard. 2003. 144 pages.

26 février 2019

Ecrit sur le sable


"Que disent les caractères sur le sable fuyant?
Peut-être simplement qu'il suffit d'avancer pas à pas
le plus léger possible         insouciant de durer
content qu'il ait neigé et content qu'il déneige
prenant le soleil comme il va         la brume comme elle vient."
            Claude Roy



Lu dans:
Claude Roy. Le voyage d'automne. NRF. Gallimard. 1987. 115 pages. Extrait pp 8-9

23 février 2019

Ceux qui font


"On trouve des gens qui disent ce qu'il faut faire, ce qu'il faudrait faire, ce qu'il aurait fallu faire, ce qu'il ne faut pas faire. C'est, souvent ou quelquefois, très bien vu.
Et il y a des gens qui font. Ce n'est jamais très bien fait, mais du moins c'est fait."  
                            M. Bellet.


 


Lu dans:
Maurice Bellet. Minuscule traité acide spiritualité. Bayard. 2010. 99 pages. Extrait p. 96.
cité par Myriam Tonus. Ouvrir l'espace du christianisme: Introduction à l’œuvre pionnière de Maurice Bellet. Albin Michel. 2019. 256 pages. Extrait pp. 25,26

22 février 2019

De l'or comme s'il en pleuvait


"Elle se souvient de l’air
doux        effervescent
le soleil couchant dissimulé derrière une rangée de vieux peupliers         dont les feuilles vibrionnaient dans la brise tiède
la lumière d’or.
Elle se souvient avoir pensé : c’est tellement parfait, on se croirait dans une publicité pour un parfum."
                        Marie Pavlenko


Je me souviens d'un éblouissement, hier en fin de journée, par ce printemps précoce inattendu. Une pluie de lumière dans le feuillage d'un arbre dont les feuilles mortes n'étaient pas encore tombées. On écarquille les yeux tellement c'est beau, gratuit, donné à profusion à notre regard qui boit toute cette beauté à grandes gorgées. Bonheur d'une rencontre inattendue.
                    


 
Lu dans:
Marie Pavlenko. Un si petit oiseau. Flammarion Jeunesse 2019. 352 pages.

21 février 2019

En vol


"Le matin, l'air est plein de battements d'ailes : les oiseaux reviennent du sud, et dessinent des cercles au-dessus du lac avant de se poser dans les anses saumâtres des marais. Quand le vent se calme, on les entends crier, cancaner, cacarder, croasser, et cette cacophonie nous paraît la rumeur d'une cité rivale, d'une ville lacustre : oies cendrées, râles, canards filets, canards siffleurs, mulards, sarcelles, harles."
                        J. M. Coetzee
 

Je m'éveille rêvant d'un monde plein de battements d'ailes. Je découvre le journal et ses nouvelles, cacophonie d'une cité lacustre. Je me mets en route, tentant de retrouver le vol en cercle au-dessus du lac.


       
Lu dans:
J. M. Coetzee. En attendant les barbares. Seuil. 2000. 256 pages

20 février 2019

Pieds qu'on oublie

"De bonnes chaussures doivent aider la personne à oublier ses pieds."       
                    Henning Mankell


Qu'en peu de mots se décrit la plénitude:  n'être que cette paire de godasses qui permet à l'autre d'exister et de progresser "comme si tout allait de soi".  Le bambin qui soudain marche seul, insouciant des bras tendus afin d'éviter sa chute, le soliste dont les notes s'envolent portées par l'orchestre qu'il n'entend plus, l'avion qui trace dans le ciel jusqu'à ne plus apercevoir la tour de contrôle, ceux de la météo et les citernes à kérosène. Vivre, c'est quand on oublie qu'on existe, et ceux par qui on y arrive. 


Lu dans:
Henning Mankell. Les Chaussures italiennes. Points. 2011. 384 pages

19 février 2019

Ce qu'on doit aux bipolaires


"Les caractéristiques du maniaque, individu hyperactif, sûr de lui, agressif, hyperactif, qui ne dort presque pas, peuvent revêtir une dimension adaptative dans des situations extrêmes. Par exemple, en temps de guerre. C’est aussi à ces temps chaotiques et sanglants que se référait Albert Demaret quand il parlait des psychopathes en ces termes : « En temps de paix, on les enferme ; en temps de guerre, on compte sur eux et on les couvre de décorations… »
                        Albert Demaret, cité par Jérôme Englebert

Vrai? Faux? Quand les généraux ont quitté la Maison Blanche en fin d'année 2018, ce fut perçu comme le départ des derniers éléments modérés entourant un président incontrôlable. Mais il demeure que certaines pathologies psychiatriques présentent des aspects positifs: l'abbé Pierre, bipolaire notoire, aurait-il lancé son appel enfiévré le 1er février 54 pour loger les sans abri s'il n'avait connu l'alternance de périodes dépressives et maniaques durant lesquelles il ne doutait de rien? Les tableaux lumineux de Van Gogh, Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche furent des productions maniaques exaltées. Ernest Hemingway, Virginia Woolf, Edgar Allan Poe, Steve Jobs, Elon Musk connurent de semblables alternances de dépression et de créativité extrême. D’après son biographe François Kersaudy, Winston Churchill traînait derrière lui sept générations familiales de maniaco-dépressifs. Sujet à des pensées suicidaires lorsqu’il n’était pas au pouvoir, Winston Churchill vivait des phases d’exaltation, notamment dans le feu des combats de la Première Guerre mondiale. Sous la mitraille, il affirmait "ne s’être jamais senti aussi bien", ce que corrobora l'image du Premier Ministre sous les bombes dans le Londres ravagé de 1940. Sans être bipolaire, aurait-ce été possible? 


Lu dans:
Philippe Lambert . Bipolarité et animaux territoriaux. Le Journal du Médecin. 15 février 2019
Albert Demaret. Éthologie et psychiatrie, suivi d’Essai de psychopathologie éthologique par Jérôme Englebert et Valérie Follet. Mardaga.2014. 278 pages

17 février 2019

L'oiseau à l'aile brisée


" Faiblesse qui conserve surpasse force qui détruit."
                    Joseph Joubert


Un bel exemple nous en est  donné par le pluvier, échassier dont une des caractéristiques est de nicher au sol. Si un prédateur s’approche, plutôt que de fuir, l’oiseau feint d’avoir l’aile brisée et au moment où le danger se précise, il décolle pour se poser quelques mètres plus loin. Le prédateur suppute une proie facile, un oiseau incapable de voler correctement. Mais à chaque fois qu’il se rapproche, le pluvier fait mine d’être handicapé et s’envole un peu plus loin, emmenant le prédateur à plusieurs kilomètres de son point de départ, du nid et de la progéniture qu’il abrite. Comportement prodigieux, quand l’oiseau s’envole et finit par disparaître, il a réussi à assurer sa survie et celle de sa descendance.
Confronté à une menace et à un rapport de force qui nous dépassent, la ruse d'utiliser sa faiblesse comme un levier devient une force, débouchant sur une issue sans vainqueur ni vaincu. Il faut admirer le pluvier.  


Lu dans:
Philippe Lambert . Bipolarité et animaux territoriaux. Le Journal du Médecin. 15 février 2019
Joseph Joubert. Des gouvernements, XXXVI (1866)
Albert Demaret. Éthologie et psychiatrie, suivi d’Essai de psychopathologie éthologique par Jérôme Englebert et Valérie Follet. Mardaga.2014. 278 pages.

16 février 2019

Le regard des mots


" Les Italiens sont des Français de bonne humeur ".
                            Jean Cocteau


Bigre, que ne ferait-on pour un mot d'esprit surtout s'il est drôle. Cette réduction aux clichés me remet en mémoire ce brave homme (?),  persiflé par son épouse selon laquelle il portait bien son prénom "c'est un vrai Albert, comme tous les Albert il est taiseux, rancunier, dominateur, avare, négatif, et a toujours raison." J'ignorais ce qui paraissait pourtant être un fait connu de la Belgique entière, étonné de découvrir en ouvrant son dossier médical qu'il ne se prénommait pas Albert mais Georges-Henri. "Non, Georges-Henri est son prénom de naissance, mais sa famille et moi l'avons toujours appelé Albert, c'était plus court."  Se faire honnir pour un prénom qui n'est pas le vôtre est demeuré pour moi le comble de la mauvaise foi conjugale. Sacré Albert va.

15 février 2019

Aimer une langue


« J’ai certes étudié le flamand, mais il n’a pas pris, il n’est pas resté, il m’a quittée comme il quitte hélas tous ceux à qui l’on tente d’enseigner une langue sans d’abord les éduquer à aimer les gens. »
                Myriam Leroy.



Lu dans :  
Myriam Leroy . Les Flamands,  nos frères: la magie des livres. Citée par Béatrice Delvaux. Le Soir. 15 février 2019. Editorial. p.1

14 février 2019

Un vide dévorant


"Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien. J'ai besoin de te redire simplement ces choses simples avant d'aborder les questions qui me taraudent."  
                    André Gorz. Lettre à D.
 
Qu'écrire de plus dense en ce jour où on fête les gens qui s'aiment?
 


Lu dans:
André Gorz. Lettre à D. Histoire d'un amour. Galilée. 2006. 77 pages. Extrait p.9

13 février 2019

Clavier éperdu


"Il reste à donner le morceau le plus attendu, ce divertissement à quatre mains qu'il travaille avec sa jeune élève. Ils jouent, et pour Franz, le temps s'arrête. Les croisements de mains multipliés sont propices aux frôlements. Il ne peut renoncer à s'enivrer de ce tendre trouble lorsqu'il effleure le bras ou la main de sa partenaire. "  
                        Gaëlle Josse
 
La séduction emprunte parfois d'étranges voies. Le timide Franz Schubert, amoureux éperdu de sa jeune élève Caroline Esterhazy, lui compose une sonate à quatre mains propice à de peu innocents effleurements par clavier complice. Subterfuge qui n’échappera guère à la mère de la jeune pianiste et entraînera l'écartement  du jeune prodige du château de Zseliz où il avait étrenné des mois heureux. Moments volés dans une vie tourmentée, rêves fugaces "qui bourdonnent d'essentiel" comme l'écrira René Char, sans lendemain si ce n'est la musique qu'ils nous laissent, éternelle.
 

Lu ans:
Gaëlle Josse. Un été à quatre mains. HD. 87 pages.  2017. Extrait p.73

12 février 2019


"Be the voice, not the echo." [Sois la voix, pas l’écho.]


 

 
Lu dans:
repris par Aruna De Wever. La peur du climat   me guide. Le Soir 9 février 19. p.6

11 février 2019

Eloquence des mots simples

"Comme le rayon de soleil       inattendu
passe la vitre sans repartir
comme le miroir    qui simultanément  nous reflète notre image
et prolonge notre regard 
vers des destinations inattendues
ailleurs        plus loin

soleil    miroir
passant par les yeux         ils atteignent le coeur."
                Giacomo da Lentini (13ème siècle)


Se laisser surprendre:  une voix modeste, celle d'un fonctionnaire attaché à la Cour de l'empereur Frédéric II, traverse huit siècles, l'éloquence des mots simples.


Lu dans:
Giacomo da Lentini. Ed Roberto Antonelli Poesis. Bulzoni Editore. Roma. 1979. Extrait. Sonnet XXI
Nadezda Vashkevich. L'Heureux Phoenix: Pourquoi écrit-on des sonnets aujourd'hui? Étude sur le sonnet actuel en France et en Russie (1940-2013). Ed. L'Harmattan. 2019. 226 pages.

[  Sì come il sol che manda la sua spera
e passa per lo vetro e no lo parte,
e l’altro vetro che le donne spera,
4che passa gli ochi e va da l’altra parte,

 così l’Amore fere là ove spera
e mandavi lo dardo da sua parte:
fere in tal loco che l’omo non spera,
passa per gli ochi e lo core diparte. ]

08 février 2019

Apprivoiser

"J'ai besoin d'un ami qui parle de paysages     de monastères
de montagnes         de la mer et des océans
des hommes qui vivent loin de nous         ou qui souffrent tout à côté
qui parle d'amour     sans s'y arrêter
de volupté     sans y toucher."
            Jean-Louis Pestiaux. Amitié

Un beau texte de Jean-Louis Pestiaux, qui commence comme du Saint-Ex     "Elle m'a dit, je ne m'y attendais pas : veux-tu bien être mon ami?" 
et se termine sur une question sans réponse       "Sa parole était troublante. Pourquoi n'ai-je rien dit?"   
En quelques lignes, tout le mystère des relations humaines entre attente, espoirs rencontrés et rendez-vous manqués .


Lu dans :
Jean-Louis Pestiaux. L'hiver est là. Edilivre. 2018. 60 pages. Extrait p. 43 

07 février 2019

Je m'envolerai


"Une belle journée     quand celle-ci s'achève
je  m'envolerai
vers un merveilleux pays de rêve
Je m'envolerai, volerai
Je m'envolerai tout là-haut
je m'envolerai comme un oiseau
quand je meurs    alléluia tout à l'heure
Je m'envolerai, volerai
Plus de soucis     de peines en ce monde
je m'envolerai
de cette prison         comme une colombe
je m'envolerai, volerai
Encore quelques journées de douleur
je m'envolerai
vers une terre où règne le bonheur
je m'envolerai, volerai
Je  m'envolerai au matin
je m'envolerai     sûr et certain
quand je meurs     alléluia tout à l'heure
Je m'envolerai, volerai. "        
                Graeme Allwright

Lu dans :
Graeme Allwright. Je m'envolerai. Album Live. 1994.

Mots volent


 «Tant que les mots sont dans ta bouche tu es leur maître.
Quand ils sont sortis de ta bouche tu es leur esclave.
Car aucun mot prononcé ne peut être retiré.."
                E de Luca.

 


Lu dans:
Erri de Luca. Le plus et le moins. NRF Gallimard.  Traduit de l'italien par Danièle Valin. 2013. 197 pages. Extrait p.178

06 février 2019


"La cause fondamentale du problème: dans ce monde actuel, les idiots sont bardés de certitudes et les intelligents sont pleins de doutes."
                                    Bertrand Russell, 1933
 

04 février 2019

Sur la berge


"Il y a ceux qu'on aime      une poignée
les fils de soie qui nous retiennent au monde."
            Michel Onfray.
 
Ce matin, il demande à mourir,  confronté à un quotidien devenu trop pénible. Son épouse a une première réaction de colère malheureuse, puis pleure longuement, silencieusement. Elle ne comprend pas qu'il puisse envisager de la laisser ainsi seule sur le quai après tant d'affection apportée à prendre soin de lui. Elle lui redit dans toutes les langues qu'elle n'est pas prête pour cette décision, temporise, "encore un moment, juste un moment si possible." Son grand fils unique est muré dans le silence, un silence qui ne sait que dire et qui est le contraire précis de l'indifférence. Sa maladie aura duré deux ans, portée par les meilleurs soins possibles d'une médecine de pointe. Où qu'on aille sur terre, toute souffrance est unique.


 
Lu dans:
Michel Onfray. Le deuil de la mélancolie. Laffont. 2018. 128 pages

03 février 2019

Médecine d'ici, et de là



 "Il existe des moments inoubliables,
des choses inexplicables
et des personnes incomparables."
        Fernando Pessoa



Profitant d'un court séjour dans la famille de nos enfants Benoît et Aline (et leurs enfants) à Dakkar, nous avons eu la chance de partager durant quelques jours le quotidien du Centre de santé de Malem Hodar situé à cinq heures de route de la capitale sénégalaise, dans une steppe dépourvue de toute richesse naturelle, avec accès aléatoire à l'électricité, à l'eau et aux soins de santé. La manière dont ces populations se prennent en charge dans le dénuement et la dignité est impressionnante, tout comme l'est la qualité d'un corps médical et infirmier ne disposant que de ressources fort limitées. On ne sort pas indemnes de ce genre de rencontre, interpellés par un certain nombre de lueurs d'avenir et la rencontre de belles personnes, d'une chaleur humaine et d'un désintéressement communicatifs, même s'il faut se garder de tout angélisme: la pauvreté reste un esclavage. Un soir j'ai été amené à donner un avis - bien mal outillé - pour un enfant d'un an présentant un retard de développement impressionnant, sans qu'aucun diagnostic neuropédiatrique n'ait jamais pu être posé. Absence de diagnostic signifiant absence de traitement et surtout absence de pronostic de développement ultérieur. On se sent bien petit confronté à ces limites, et perplexe devant la quantité d'examens techniques prescrits lors de la plus banale de nos consultations. Rien n'est à aimer ou à rejeter d'un bloc, mais se confronter à pareils contrastes est un exercice qui nous fait quitter notre zone de confort.