"Je me souviens, c'était un matin, l'été,
La fenêtre était entrouverte, je m'approchais,
J'apercevais mon père au fond du jardin.
Il était immobile, il regardait
Où, quoi, je ne savais, au-dehors de tout,
Voûté comme il était déjà mais redressant
Son regard vers l'inaccompli ou l'impossible.
Il avait déposé la pioche, la bêche,
L'air était frais ce matin-là du monde,
Mais impénétrable est la fraîcheur même, et cruel
Le souvenir des matins de l'enfance.
Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière,
Je ne le savais pas, je ne sais encore. "
Yves Bonnefoy
Soudain, ce vieux patient bougon me raconte un moment précis de son
enfance. Il a quatre ans, avec sa mère, sur le quai de la gare il
attend un train qui vient d'Allemagne. Un homme voûté descend du train,
s'avance. "Voilà ton père". "On ne s'est rien dit, ni ce jour, ni après.
Septante ans plus tard, je regrette encore ce silence."
Lu dans:
Yves Bonnefoy. Les Planches courbes. Collection Poésie. Gallimard. 2003. 144 pages.
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