"Trois assassins, nés et grandis en France, ont horrifié le monde par la barbarie de leur crime. Mais ils ne sont pas des barbares. Ils sont tels qu'on peut en croiser tous les jours, à chaque instant, au lycée, au métro, dans la vie quotidienne."
Le Clezio. Lettre à ma fille.
Des bombes et un carnage à l'aéroport et dans le métro Maelbeek.
C'est étrange mais nous aurions aimé être là en ce moment, près de
vous, plutôt qu'ici entre ces sommets enneigés et ensoleillés, si
beaux et si paisibles qu'on a l'impression d'une autre planète,
d'autres humains, ce qui accentue le sentiment d'incompréhension de
ce qui se vit pour le moment à Bruxelles, près de chez nous.
Jusqu'ici, en un sens, l'horreur c'était les autres: des "returnees"
syriens frappant une synagogue, un journal satirique un peu bête et
méchant, des fans de rock au bataclan, comment dire? c'était
horrible mais c'était pas nous, c'était pas moi. Et puis il y eut
cette traque à la rue des Quatre-Vents à Molenbeek, ces façades
connues, ce "tout près de chez moi", ces populations côtoyées depuis
tant d'années dans le croissant pauvre bruxellois, soupçonnées de
n'être qu'un vaste territoire conspiratif. Et enfin ce matin ces
explosions dans "notre" aéroport familier, puis dans ce métro
Maelbeek à l'heure précise où - quand on n'est pas en Suisse - on se
trouve. On a exhibé aux news Salah Abdeslam, il avait la tête du
marchand de glaces ou du soepket de ma rue, puis trois gars poussant
avec nonchalance leur chariot à bagages, qui seraient les auteurs de
l'attentat. Il nous faudra désormais, comme nos petits-enfants
paraissent l'avoir compris avant nous, vivre dans un monde où on
peut vous tuer parce qu'on part travailler, sans autre raison, et où
votre agresseur est peut-être votre marchand de glaces. Où
l'embonpoint de votre voisin de bus est peut-être une ceinture
d'explosifs et où devant l'hôpital Erasme sont prévues des places
pour les bus et des places pour les automitrailleuses. Et continuer
à sourire des blagues de la fleuriste, du guano des pigeons sur la
casquette de l'agent et de la petite fille en robe rouge qui danse
en avançant. Sourire parce que demain sans doute, ces mêmes
petits-enfants prendront ces problèmes par un autre bout, les
comprenant mieux que nous ne le fîmes car ayant grandi dedans.
Lu dans:
JMG Le Clezio. Lettre à ma fille, au lendemain du 11 janvier 2015.
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