"Un bon plat, c'est donner de la mémoire à l'éphémère."
Thierry Marx
"Les rôtis étaient lourds et juteux et, au premier coup de couteau, ils
s'écrasèrent. La sauce était comme du bronze, avec des reflets dorés et,
chaque fois qu'on la remuait à la cuiller, on faisait émerger des
lardons, ou la boue verdâtre du farci, ou des plaques de jeune lard
encore rose. La chair du chevreau se déchira et elle se montra laiteuse
en dedans, fumante avec ses jus clairs. Sa carapace croustillait et elle
était d'abord sèche sous la dent, mais, comme on enfonçait le morceau
dans la bouche, toute la chair tendre fondait et une huile animale,
salée et crémeuse en ruisselait qu'on ne pouvait pas avaler d'un seul
coup, tant elle donnait de joie, et elle suintait un peu au coin des
lèvres.
- Buvez», dit Jacquou.
Et cette fois on but, car tout semblait accordé: l'odeur de cette
nourriture de feu, la viande noire du lièvre et le vin noir qui
attendait avec ses luisances de poix. Le vin noir de Jacquou était un
commandement terrible. Il n'attendait même pas. Il prenait l'ordre de
tout, tout de suite. Il y avait l'odeur de la solognette. C'est une
odeur très spéciale et seulement supportable quand elle est en touffe,
au milieu d'un ciel sans borne, bien venté sur le sommet des montagnes.
C'est l'herbe au sang, c'est l'herbe au feu, c'est l'herbe aux amours de
grands muscles."
Jean Giono. Que ma joie demeure.
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