"C'est fou comme on s'habitue vite à tout. Y pensant aujourd'hui, j'ai du mal à l'admettre. Quelques heures après avoir respiré l'air nauséabond et suffocant du wagon, voilà que nous nous sentons chez nous. « Chez nous », c'est le bout de plancher sur lequel je suis assis. Je songe aux exilés juifs de l'Antiquité et du Moyen-Age; je suis leur frère. (..) Le principal, c'est que nous soyons entre nous. Si l'on nous avait dit que ce voyage durerait des semaines ou même des années, nous aurions tous répondu : plaise à Dieu qu'il en soit ainsi. Car rien n'est pire que l'inconnu. (..) La vie dans les wagons. La mort de mon adolescence. Comme je vieillis vite: enfant, j'aimais l'imprévu. Un visiteur venu de loin. Un événement inattendu. Un mariage, une tempête, une catastrophe. N'importe quoi plutôt que la routine. Maintenant, c'est le contraire. N'importe quoi plutôt que le changement. Accrochés au présent, nous redoutons l'avenir."
Elie Wiesel.
Tous nos séjours de vacances, voyages, weekends prolongés portent en
filigrane des noms de livres emportés. Les Vosges avec Elie Wiesel, cela
donne indubitablement à la neige et au carnaval une coloration
méditative que les seuls serpentins, turlututus et chapeaux pointus ne
possèdent guère, et que j'apprécie. Cette longue méditation sur le
sentiment de sécurité que peut procurer le plancher d'un wagon à
bestiaux pour Auschwitz m'habite l'esprit de manière durable.
Lu dans
Elie Wiesel. Tous les fleuves vont à la mer. Mémoires. Seuil. 1994. 562 pages. Extrait p.98
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