Le repas
IL n'y a que la mère et les deux fils
Tout est ensoleillé
La table est ronde
Derrière la chaise où s'assied la mère
Il y a la fenêtre
D'où l'on voit la mer
Briller sous le soleil
Les caps aux feuillages sombres des pins et des oliviers
Et plus près les villas aux toits rouges
Aux toits rouges où fument les cheminées
Car c'est l'heure du repas
Tout est ensoleillé
Et sur la nappe glacée
La bonne affairée
Dépose un plat fumant
Le repas n'est pas une action vile
Et tous les hommes devraient avoir du pain
La mère et les deux fils mangent et parlent
Et des chants de gaîté accompagnent le repas
Les bruits joyeux des fourchettes et des assiettes
Et le son clair du cristal des verres
Par la fenêtre ouverte viennent les chants des oiseaux
Dans les citronniers
Et de la cuisine arrive
La chanson vive du beurre sur le feu
Un rayon traverse un verre presque plein de vin mélangé d'eau
Oh ! le beau rubis que font du vin rouge et du soleil
Quand la faim est calmée
Les fruits gais et parfumés
Terminent le repas
Tous se lèvent joyeux et adorent la vie
Sans dégoût de ce qui est matériel
Songeant que les repas sont beaux sont sacrés
Qui font vivre les hommes.
Apollinaire
Comment ne pas se remémorer "Que ma joie demeure" de Jean Giono et la
description du buffet campagnard aux gras cuissots fondant dans la
bouche qui ouvre le récit, et la fraternisation heureuse du village?
"Les rôtis étaient lourds et juteux et, au premier coup de couteau, ils
s’écrasèrent. La sauce était comme du bronze, avec des reflets dorés et,
chaque fois qu’on la remuait à la cuiller, on faisait émerger des
lardons, ou la boue verdâtre du farci, ou des plaques de jeune lard
encore rose. La chair du chevreau se déchira et se montra laiteuse en
dedans, fumante avec ses jus clairs. Sa carapace croustillait et elle
était d’abord sèche sous la dent, mais, comme on enfonçait le morceau
dans la bouche, toute la chair tendre fondait et une huile animale,
salée et crémeuse en ruisselait qu’on ne pouvait pas avaler d’un seul
coup, tant elle donnait de joie, et elle suintait un peu au coin des
lèvres. On s’essuyait la bouche." S'il existe une spiritualité
ascétique, il en est une autre qui s'incarne dans la joie des tablées
bruyantes, du vin de Cana, de l'abondance des pains et des poissons qui
se multiplient, du pain et du vin qu'on partage avant l'épreuve ou qui
de l'étranger fait un ami sur la route d'Emmaüs. Un saint austère ne
saurait faire le poids face à celui qui vous invite fraternellement à sa
table.
Lu dans:
Guillaume Apollinaire. Le repas.
Jean Giono. Que ma joie demeure. Grasset. 1935
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire