"La fumée de la pipe me renvoie en enfance, quand j'avais encore la tête dans les nuages."
Mareste
"Il pleut. On voit, par la bow window du salon, la bruine tomber
doucement. Nous sommes à Pâques, en 1973, dans une petite ville du
Kent. Et
cela sent l’herbe coupée, qui gonfle de moisissure, sous des
averses tièdes. Je suis en séjour linguistique, et j’aime le soir
quand vers 21h30, pour le high tea, devant la télé
BBC à laquelle je ne comprends presque rien, Jane dépose des
crackers salés, avec un peu de Stilton dessus, avec un tout petit
peu de son vin d’orange, qu’elle garde dans un carafon peint. Surtout,
elle prépare ses cakes, en cuisine. Et David allume sa
pipe. C’est l’heure de l’odeur. Je ne l’oublierai pas. Le petit
salon cosy s’emplit d’un parfum mêlé, de tabac, de raisins
de corinthe mis à gonfler dans du rhum et cuits longuement au four,
de foin mouillé et de temps qui
passe, monotone et paisible.
Nous sommes en septembre 2014. Il pleut. Ma femme
me rejoint sur le balcon, renifle, étonnée. « Tu fumes quoi ? ».
Elle renifle encore, parle de raisins secs, de rhum.
De subtilité. « C’est quoi, c'est excellent ». Du Plumcake, de chez
Mac Baren. « C’est très exactement l’odeur de mes soirées, à 13 ans,
dans le
Kent , que je viens de retrouver.» Décidément, c’est
bizarre. Et je me dis, en la rejoignant, qu’il faudrait que je fasse
une
revue, peut-être peu conventionnelle et sûrement trop longue, pour
parler quand même de ce tabac que j’aime; de
son parfum mêlé de tabac léger, de vin d’orange, surtout de raisins
de Corinthe mis à gonfler dans du rhum puis longuement cuits au
four, et de la touche de foin mouillé qui se glisse près du cake :
mais le tout lointain et discret comme un ennui très doux, comme le
temps qui passe, comme une nostalgie."
On n'osera bientôt plus confier à personne la magie de la pipe du
dimanche soir où se consument quelques grammes d'un tabac grand cru,
plaisir
aussi éloigné du tabagisme compulsif que la dégustation d'un porto hors
d'âge l'est d'un binge drinking. Se mêlent dans ses volutes les images
de la journée passée, les souvenirs et les visages d'un passé inattendu
et l'avant-goût de la semaine qui commence. Les superbes boîtes écrins
de nos tabacs favoris s'ornent désormais d'un bandeau occupant la moitié
du couvercle "fumer tue", et le pire c'est que c'est vrai. Encore qu'à
toute toute petite dose, sans inhaler, cela doit tuer infiniment
lentement.
Lu dans:
Mareste. http://www.alanoblebouffarde.com/ Mac Baren - Plumcake : dans le Kent et dans le temps. Lun 22 Sep 2014.