"Un ouvrier dort
Si je croyais aux prières
Je voudrais
Prier pour ses mains."
Paul Vincensini (1930 1985)
Ils ont le mot rare pour raconter leur quotidien. L'heure du lever
bien avant la mienne, les moyens de fortune pour se réchauffer les
mains en hiver, la poussière qui vous encrasse tout, les boyaux borgnes
dans lesquels ils se poussent comme des rats pour en extraire les
conduites pourries, les faux-plafonds dans lesquels se passent des
journées entières, les tranchées inondées où macèrent les pieds et les
mains. Une armée de l'ombre qui répare notre électricité, nos meubles,
nos chassis, creusent des tranchées dans nos murs et nos trottoirs,
remplacent les pièces de nos autos et de nos chaudières, calfeutrent les
fuites d'eau, les égoûts, les conduites de gaz, tout ce qui poisse,
pue, mouille, fait tousser et piquer les yeux. Les mains cassées, les
coudes endoloris, le dos raide ils ont honte de se plaindre si jeunes de
maux de vieux et hochent la tête pensivement quand un économiste énonce
les raisons pour lesquelles il faudra prolonger la durée du travail,
citant tel peintre de renom, tel écrivain, tel médecin, tel juge qui
travailla jusqu'à septante ans et plus. Sans doute ne parle-t-on pas des
mêmes travailleurs, mais ceux auxquels je pense, ceux qui usinent à
longueur d'existence le bois, le métal, le ciment,
l'isolant poussiéreux, les produits volatiles, toutes choses qui
leur imprègnent
la peau, les cheveux, les poumons, les muqueuses pour que nous
puissions lire à l'aise le soir, au chaud, bien propres et bien reposés,
ceux-là aimeraient aussi, avant d'être définitivement cassés, pouvoir
profiter d'un peu de douce existence.
1 commentaire:
Merci pour cette belle réflexion.
Et merci pour vos billets et citations si variées que je lis chaque jour avec plaisir.
Enregistrer un commentaire