"Le brochet: immobile à l'ombre d'un saule, c'est le poignard dissimulé au flanc du vieux bandit."
Jules Renard
Une écriture d'époque, à fleuret moucheté: on entend le bruissement du 
saule, le friselis de l'eau, l'argenté des nageoires, l'incertitude du 
guet, le tout davantage suggéré que décrit. Trésor compromis? Pas sûr, 
mais la petite Poucette 2013 utilise sans aucun doute une syntaxe 
différente, plus phonétique et exigée par la petite taille des touches 
de son smartphone: OQP jeteléDjadi j'tapLdkej'pe  l'S tomB tabitou ôfèt 
(trad: Occupé, je te l'ai déjà dit, je t'appelle quand je peux. Laisse 
tomber. T'habites où au fait?). Concision conjuguée à une 
survalorisation du vécu quotidien, une démesure de mots utilisés en 
boucle, dans le parlé comme dans l'écrit, qui m'amusent autant qu'ils 
m'étonnent.  "Cool, tu es vraiment génial, un hyperpro", propos 
dithyrambiques pour accueillir un invité qui - miracle - arrive 
simplement à l'heure prévue, le jour prévu. "Ce que tu as composé est 
vraiment unique" pour une chansonnette d'anniversaire, le champagne est 
sorti pour inaugurer l'Univers du tapis, le gigamégastore ou le parfum 
des stars vendu à 5 euros chez Lidl. On survalorise ce qui autrefois 
paraissait évident, et on se la surjoue(*) pour décrire sa vie 
quotidienne : "Le kayak, c'est ma passion !",  répété trois fois : "Que 
du bonheur !".  L'absence de grands périls et de grandes conquêtes 
nécessitera peut-être à l'avenir de créer de grands récits. L'Univers du 
mot pour échapper au quotidien banal. 
Lu dans:
Jules Renard cité par Lucien Noullez. L'âge d'Homme. 2013. 202 pages. p 15
(*) terme emprunté à Michel Houellebecq. Configuration du dernier rivage. Flammarion, 104 p., 15 €
 
 
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