17 avril 2013

Ecrits du quotidien


"Le brochet: immobile à l'ombre d'un saule, c'est le poignard dissimulé au flanc du vieux bandit."
Jules Renard

Une écriture d'époque, à fleuret moucheté: on entend le bruissement du saule, le friselis de l'eau, l'argenté des nageoires, l'incertitude du guet, le tout davantage suggéré que décrit. Trésor compromis? Pas sûr, mais la petite Poucette 2013 utilise sans aucun doute une syntaxe différente, plus phonétique et exigée par la petite taille des touches de son smartphone: OQP jeteléDjadi j'tapLdkej'pe  l'S tomB tabitou ôfèt (trad: Occupé, je te l'ai déjà dit, je t'appelle quand je peux. Laisse tomber. T'habites où au fait?). Concision conjuguée à une survalorisation du vécu quotidien, une démesure de mots utilisés en boucle, dans le parlé comme dans l'écrit, qui m'amusent autant qu'ils m'étonnent.  "Cool, tu es vraiment génial, un hyperpro", propos dithyrambiques pour accueillir un invité qui - miracle - arrive simplement à l'heure prévue, le jour prévu. "Ce que tu as composé est vraiment unique" pour une chansonnette d'anniversaire, le champagne est sorti pour inaugurer l'Univers du tapis, le gigamégastore ou le parfum des stars vendu à 5 euros chez Lidl. On survalorise ce qui autrefois paraissait évident, et on se la surjoue(*) pour décrire sa vie quotidienne : "Le kayak, c'est ma passion !",  répété trois fois : "Que du bonheur !".  L'absence de grands périls et de grandes conquêtes nécessitera peut-être à l'avenir de créer de grands récits. L'Univers du mot pour échapper au quotidien banal. 

Lu dans:
Jules Renard cité par Lucien Noullez. L'âge d'Homme. 2013. 202 pages. p 15
(*) terme emprunté à Michel Houellebecq. Configuration du dernier rivage. Flammarion, 104 p., 15 €

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