"Je ne suis pas le personnage que vous prétendez m’imposer d’être ou d’avoir été. J’ai gâché ma vie et c’est tout".
Aragon. Dernier éditorial des "Lettres françaises" (*).
On ne saura ce que Louis Aragon plaça dans la corbeille du bilan évoqué dans son ultime éditorial des "Lettres françaises" qu'il dirigea de 1953 à 1972. Quelques années plus tôt (fin août 68) les chars soviétiques ont envahi la Tchécoslovaquie, mettant fin à l'illusion stalinienne dont il s'était fait le chantre. On imagine ce que put lui coûter de remplacer sa phrase "Merci à Staline pour ces hommes qui se sont forgés à son exemple" par « Et voilà qu'une fin de nuit, au transistor, nous avons entendu la condamnation de nos illusions perpétuelles... ».
Poète et amoureux mythique, il représentait avec Eluard pour les adolescents que nous fûmes la plus parfaite utopie, fusionnant dans notre imaginaire l'amour éternel, la liberté et le partage universel des richesses. Les fractures personnelles - sa non-reconnaissance par son propre père, les ruptures, ses préférences homosexuelles affichées après le décès d'Elsa Triolet, sa désillusion politique - étaient-elles prémonitoires de l'effondement des grands mythes du XXe siècle? On peut le penser.
Cela fait-il pour autant une vie gâchée, quand on a écrit tant de textes sublimes qui résonnent encore en nous firent toucher la Beauté du doigt, c'est moins sûr.
Je vous souhaite un bon weekend
CV.
Lu dans:
Francis Matthys. Aragon, Breton, Paulhan, épistoliers. Lire. LLB. 5 décembre 2011. page 2.
Aragon. Lettres à André Breton (1918-1931) , Gallimard 472 pp.
(*) Suite à la prise de position du journal contre l'invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968, la parution du journal cesse en 1972. Les "Lettres françaises" reparaissent depuis avril 2011, publiées chaque premier jeudi du mois.