10 mars 2010

L'éternelle quête de soi

"L'adaptation la moins coûteuse en énergie consiste à faire comme tout le monde."
 B. Cyrulnik
Le dernier ouvrage écrit par Stéphane Zweig, peu avant son suicide en exil, est consacré à Montaigne et à son éternelle quête de "penser par soi-même".  Les deux comparses, que quatre siècles séparaient, n'auraient certainement pas renié le récit que fit le comportementaliste Asch d'une de ses expérimentations consistant à observer des gens dans une salle d'attente. Tous les sièges, sauf un, sont occupés par des compères plongés dans la lecture d'un journal. La personne observée entre dans la salle où on lui a donné rendez-vous et ne peut s'asseoir que sur la chaise laissée libre. Le nouvel arrivant se met à lire, lui aussi. C'est alors qu'un complice fait sortir une épaisse fumée par un soupirail. Personne ne bouge puisque telle est la consigne. La fumée est intense, et l'odeur de bois brûlé importante. Le cobaye manifeste des signes d'inquiétude, mais puisque personne ne bouge, il se remet à lire. Il faudra attendre qu'un brouillard total obscurcisse la pièce pour qu'enfin il ose se désolidariser du groupe et s'enfuir, laissant les autres le nez dans leur journal. J'ai souri à la lecture du récit, qui m'a ensuite poursuivi jusqu'au soir:  quelle est notre fumée? 

Lu dans
Boris Cyrulnik. Autobiographie d'un épouvantail. Ed. Odile Jacob. 2008. 275 pages. extraits p. 168, 172
Asch S., Effects of group pressure upon the modification and distorsion of fragments, in H. Guetzkow, Human Relationships, Pittsburgh, Camege Press,
1951, p. 177-190.
Stefan Zweig. Montaigne. Préface de Roland Jaccard. Presses Universitaires de France - PUF. Coll.: Quadrige Grands textes. 2004. 125 pages. 

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