"Mes pensées se sont peu à peu éloignées, mais ayant abordé un sentier
accueillant, je repousse les contrariétés tumultueuses et je m'arrête, les yeux
fermés, grisé par un parfum de passé que j'ai conservé, durant mon petit corps
à corps avec la vie. J'ai vécu hier, uniquement. Aujourd'hui a cette nudité qui
attend la chose désirée, ce cachet provisoire qui vieillit en nous sans amour.
Hier est un arbre aux longs branchages, à l'ombre duquel je suis allongé,
abandonné à la mémoire.
Soudain, je regarde, étonné: en longues caravanes, des voyageurs sont arrivés
dans le même sentier; les yeux endormis dans le souvenir, ils fredonnent des
chansons et évoquent ce qui fut. Et je crois deviner qu'ils se sont déplacés
pour s'arrêter, qu'ils ont parlé pour se taire, qu'ils ont ouvert leurs yeux
stupéfaits devant la fête des étoiles pour les fermer et revivre l'enallé...
Étendu dans ce nouveau chemin, avec les yeux avides et fleuris des jours
lointains, j'essaie vainement d'enrayer le fleuve du temps qui ondoie sur mes
faits et gestes. Mais l'eau que je parviens à recueillir reste prisonnière des
bassins secrets de mon coeur, dans lesquels, demain, devront s'enfoncer mes
veilles mains solitaires".
Pablo Neruda. LE FLEUVE INVISIBLE, Premiers Poèmes
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