"Osons une métaphore. Pour définir tel silex, le spécialiste le soumet à de multiples tests physiques ou chimiques, il en mesure
mille caractéristiques, mais il ne peut découvrir celle de ses propriétés qui est la plus remarquable: la capacité de ce silex de produire une étincelle lorsqu'il est heurté par un autre silex. Cette performance, en effet, n'est pas celle d'un objet isolé; elle
a pour source la rencontre de deux objets.
De la même façon, la performance la plus décisive d'un être humain, celle qui fait de lui un produit du cosmos à nul autre pareil, ne peut pas être constatée si on l'isole. Cette performance inouïe est la capacité non seulement à être, ce qui est à la portée de tout objet, mais à se savoir être, ce qui est réservé à nos semblables. Elle ne peut se manifester que dans le rapport à l'autre; c'est le choc de la rencontre qui fait apparaître en chacun la conscience de sa propre existence.
Nous ne pouvons dire «je », c'est-à-dire parler de soi comme si l'on était un autre, que grâce aux « tu » qui nous sont adressés. L'éclair de la conscience ne peut jaillir que de la fécondation de notre pensée par celle de l'autre. Un humain ne peut donc être défini que par les caractéristiques de son insertion dans la communauté humaine. Ce qu'il est n'est pas seulement l'objet visible qui se manifeste, mais l'ensemble des liens qui le relient aux autres. Chacun est le produit d'une métamorphose: l'individu biologique fait par la nature devient la personne construite par les rencontres.
Oui, il s'agit vraiment d'une métamor~ phose, plus décisive et plus mystérieuse que celle de la chenille devenant papillon. Elle nous oblige à distinguer en chacun de nous deux humains: d'une part l'individu apporté par les mécanismes naturels de la procréation, d'autre part la personne construite par la rencontre des autres."
Albert Jacquard. Définir lêtre humain .
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire