31 mars 2025

Une retraite active

La Belgique mise à l'honneur en page Une du The New York Times

 


La Belgique joue à nouveau dans la cour des grands. Au décours de la rencontre des 30 pays européens et de l'OTAN destinée à clarifier leurs engagements de l'envoi possible de militaires européens en Ukraine, Bart De Wever avait confirmé que la Belgique est prête à y participer. Sous quelle bannière, sous quelle forme, la question était restée en suspens, le premier souci demeurant le fragile équilibre budgétaire du pays et une opinion publique à convaincre. Après concertation avec les ministres Theo Francken (Défense) et Frank Vandenbroucke (Affaires sociales et Santé publique) une proposition originale a été retenue. Plutôt que de mobiliser un contingent de militaires et leur matériel, solution onéreuse, la Belgique enverra un peloton de médecins réservistes, tous arrivés à l'age de la retraite, à qui il sera proposé de prolonger leur carrière d'un an sur base volontaire, avec versement de leur pension et une prime d'éloignement . Ils seront accompagnés de 2 équipages d'engins blindés pour leur protection. Privilégiant la compétence, la mobilité et la créativité sur le terrain, ce contingent n'emporterait qu'un équipement d'intervention léger destiné aux premiers soins des victimes collatérales éventuelles, dans une mission d'interface entre le terrain et l'hospitalisation dans un centre hospitalier. Appel est lancé aux médecins remplissant les conditions ( cliquer ici  ) .


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The New York Times. mardi 1er avril 2025. 

Dire aux gens que j'aime

"J'aurais pu traîner le long de mes rêves

J'aurais pu, l'air de rien
Attendre ici que la journée s'achève
Sortir le chien, si j'en avais un
J'aurais pu m'inventer des inventaires
Faire et refaire le point
Mais ce matin j'ai bien plus cher à faire

Ce matin, j'irai dire aux gens que j'aime
Juste merci d'être ceux qu'ils sont
Qu'ils changent mes heures amères en poèmes
Et tous ces mots que nous taisons
Ce matin, j'irai dire aux gens que j'aime
Comme ils comptent pour moi chaque instant
(..)
Et tant qu'on est là bien vivant
Tout se dire tant qu'il est temps
                    Patrick Fiori


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Les gens qu'on aime. Patrick Fiori. Paroliers : Jean-Jacques Goldman / Luc Leroy / Yann Mace

29 mars 2025

Ode aux invisibles

 "L’histoire est une fable au service des puissants dont elle entretient indéfiniment la mémoire, négligeant le sort de l’immense majorité des humains. Ils ont fait l’histoire mais l’histoire les ignore."                                     Christian de Brie



Une ode aux invisibles.  Ce sont eux qui ont bâti châteaux et places fortes, temples et mausolées, cathédrales, basiliques, mosquées, pagodes, et non ceux qui les ont accaparés. Louis XIV n’a pas construit Versailles, pas plus que Pierre Ier le Grand, Saint-Pétersbourg, ou l’empereur moghol Shâh Jahân, le Taj Mahal. Les uns et les autres auraient été bien incapables de bâtir le moindre muret de pierre sans qu’il s’écroule. Les bâtisseurs de cathédrales ne signaient pas les pierres qu'ils assemblaient, et cet anonymat leur va bien. 

 

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Christian de Brie. La condition inhumaine. Le Monde diplomatique. Mars 2025. 

28 mars 2025

Quand les grands jouent à la guerre

 "La Presse du jour. Boeing remporte le marché du futur avion de combat américain, baptisé F-47 "en référence au 47ᵉ président des États-Unis". Flagornerie appréciée par l'intéressé qui évoque un "beau numéro, un avion indétectable que les ennemis de l’Amérique ne verront jamais venir, (…) n'ayant pas le temps de réaliser ce qu'il leur arrive." (Le Monde)   /   Mark Rutte, grand-chef de l'OTAN, lance un avertissement sans précédent: "Notre réaction sera dévastatrice en cas d'attaque". (Le Soir)     /    Hadja Lahbib,  présente le kit de survie de la Commission européenne permettant de survivre 72 heures en autonomie: conserves, nourriture lyophilisée, eau, une radio, une lampe torche, un briquet, des allumettes, papiers d'identité et... du cash. (La Libre)


Rajeunissant exercice. Casoar, Grizzli et Antilope présentent aux scouts (ancienne méthode) l'opération survie, clou du camp, au moyen d'images saisissantes destinées à éprouver le courage des petits derniers fraîchement arrivés à la Troupe. Mais c'est le Jeu des Trois erreurs: 1. Les Scouts ont sérieusement rajeuni leur logiciel pédagogique, préférant la créativité aux mises en scène guerrières, 2. De ce temps-là on respectait les règles durant les activités, 3. Les missiles étaient des pétards, ce qui fait une différence. Reste la question qui tue: faut-il vraiment un kit de survie si on ne souhaite pas survivre dans ce monde-là, rues et maisons détruites comme à Gaza ou dans le Donbass, les proches tués dans les décombres, la peur au ventre en permanence et surtout l'effondrement de toutes les valeurs qui fondèrent notre vie: la non-violence, le respect de l'autre et de la parole donnée, la justice sociale, l'apprentissage aux enfants de la bienveillance? 


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Arnaud Leparmentier. Boeing remporte le marché du futur avion de combat américain F-47. Le Monde 25 mars 2025
Mark Rutte.  Notre réaction sera dévastatrice » : l’avertissement du chef de l’Otan en cas d’attaque. Le Soir. 26 mars 2025
Olivier Le Bussy. Pour Hadja Lahbib, les Européens "doivent être prêts à faire face à tout, y compris à l'inattendu". Et pouvoir survivre 72 heures en autonomie. LLB 26 mars 2025

27 mars 2025

Bonheur

"Tout nous échappe sans cesse, même les êtres qu'on aime. Mais reste la certitude que certains moments on été ce qu'on appelle le bonheur. "
                        Laurence Tardieu


Elle a les doigts aussi noueux qu'un cep de vigne, mais égrène avec bonheur une étude de Czerny sur laquelle elle fit ses premières armes. Une vie s'est écoulée depuis, mais l'émotion reste intacte.


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Laurence Tardieu. Rêve d'amour. Le Livre de poche. 2009

26 mars 2025

Car tu es lumière

"Tu es étincelle et tu retourneras en lumière. Tu poursuivras ton chemin émerveillé dans ce jaillissement sans fin d’où irradient tous ceux que nous aimons."      Bernard Tirtiaux

                                                        

Un rayon de soleil qui traverse un vitrail, et notre terre devient le ciel. Bibliques ou contemporains, les vitraux racontent la longue Histoire des hommes, leurs espoirs, misères et questions sans réponses, Ils réchauffent d'un éclairage changeant les saisons de l'année et jouent de la palette des coloris de l'aube au crépuscule. Ils racontent le savoir-faire des verriers, ce travail du verre et du plomb d'où sourd mystérieusement une aventure spirituelle. Comme le soleil réchauffe les corps, se calfeutrer dans la lumière des vitraux nous transporte hors du temps. Le vitrail a ce pouvoir de traduire l'ancienne prophétie "tu es poussière et tu retourneras en poussière" en  sa variante lumineuse mais tout aussi crédible "Tu es étincelle et tu retourneras en lumière". Il existe un mot hébreu pour qualifier cette métamorphose: אָבָק , AVAK ou la danse des particules lumineuses en suspension dans un rayon de lumière. Soulevées par le vent, elles nous emportent vers le large. Le vitrail nous invite à être passeurs de lumière.


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Bernard Tirtiaux. Belgiques: Réminiscences. La rosace de Martinrou. Ker Editions. 2023. 112 pages. Extrait p.54

25 mars 2025

Sagesse des murs

 "J ' E X I S T E ! "   
                Sagesse des tags

                          


Coincée entre une dizaine de tags, une inscription m'interpelle: "J ' E X I S T E ! "  Dérisoires et triomphants à la fois. deux mots au pochoir sur un mur qui suinte l’abandon. Dans cette friche de ma commune où le temps s’effiloche entre errance et ennui, faut-il y voir un éclat d’insolence ou un murmure fataliste habité par le besoin tragique de laisser une empreinte, fût-elle aussi fugace qu’un graffiti promis à l’effacement. Entre deux visites à domicile, sans autre urgence que celle de rêver, il me plaît d'imaginer le jeune William (avant qu'il  devienne Shakespeare), une bombe à la main rédigeant l'esquisse de ce qui deviendra "To be or not, to be that's the question". Être ou ne pas être, c'est être le problème. Cioran y aurait peut-être ajouté par dérision ou lassitude  "J'existe - encore", ou l'aurait biffé par un "Trop tard !" dans un accès de lucidité cruelle. On tague sur les murs parce qu'on ne sait plus crier des mots qui donnent l’illusion d’une importance. Mais l’univers s’en moque.


24 mars 2025

Nos rêves captifs

 "On n'achète pas une barre chocolatée Hershey pour quelques grammes de cacao.  On l'achète pour retrouver le sentiment d'être aimé, comme cette fois où votre père vous avait offert une barre de chocolat pour vous remercier d'avoir tondu la pelouse'.»   
                            Don Draper

                        
                                       

Tout publicitaire vous le dira: on ne vend pas seulement une savoureuse friandise, aussi succulente soit-elle, mais on recrée un plaisir et des sentiments. il faut être suffisamment créatif pour que la simple vue de l'emballage fasse revivre des moments chaleureux de notre enfance, comme lorsque notre père nous offrait une barre en récompense.  Modeste transaction qui en échange de quelques pièces vous procurait et le plaisir des papilles et le rêve.  Dans Les nouveaux serfs de l'économie (2024), l'économiste Yanis Varoufakis débusque comment les chocolats sont devenus des smartphones, que les géants de la technologie tels que Google, Amazon, Facebook et Apple rendent attrayants et indispensables, contrôlant et créant subtilement nos données et nos besoins. Varoufakis explique comment ces plateformes prélèvent des commissions sur les transactions et le travail, sans créer de réelle plus-value, une sorte de capitalisme sans produit. Même pas le petit plaisir et le rêve suscités par la tablette chocolatée !


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  • Don Draper, un publicitaire chevronné de la série "Mad Men" (2007, décrivant les années 1950-1960)
  • La Barre chocolatée Hershey, mythique aux EU, créée depuis 1900. Appelée "La Grande Barre de chocolat américaine."
  • Yanis Varoufakis. Les nouveaux serfs de l'économie. Les Liens qui libèrent.. 2024. 350 pages. Extrait p.50

22 mars 2025

Sagesse d'Erri De Luca

"De la discrétion, donc. Comme le jeu du Mikado où il faut pouvoir retirer des bâtonnets enchevêtrés sans faire bouger les autres."       
                    Erri De Luca

                           



Une discrétion qui se perd quelque peu aujourd’hui, quand tout nous conforte dans la nécessité "d'être quelqu’un" pour marquer son passage. Le Mikado, c’est une métaphore de l’attitude à avoir devant la vie, celle de se faire le plus discret possible, de sortir parmi les autres sans être aperçu. C’est un art très rare de n'être que passage, et finalement peu de chose dans la vie du monde.


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Erri De Luca (Auteur), Danièle Valin (Traduction). Les règles du Mikado. Gallimard. 2024 . 160 pages

21 mars 2025

Le retour du printemps

"Au printemps
les cœurs sont repeints au vin blanc
tout Paris se change en pâturage
les guinguettes ont rouvert leurs volets
l'accordéon apprend des couplets
les oiseaux sont revenus de loin
le soleil a décrété que c'est tous les jours dimanche.
Le nouveau printemps."  

Le revoilà ! La nature se remet en marche, et nous de même. Nouveaux bourgeons, nouveaux projets, nouvelles habitudes et - pourquoi pas - nouveaux horizons.  Le printemps marque l'équinoxe, un moment d'équilibre entre le jour et la nuit, perche tendue pour une recherche d'équilibre dans nos vies, que ce soit entre le travail et le repos, entre nous et la nature et entre les différentes facettes de notre existence. Moment de renouveau, le printemps est une opportunité.


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Paroles librement adaptées d'Aznavour, Brel et Bécaud. 

20 mars 2025

Vivre ou pas? Seul vivre compte

"Parle pas de toi comme ça mon grand. Il vaut mieux avoir de l’avenir que du passé, crois-moi… C’est pas ce qu’on t’a donné qui compte, c’est ce que tu vas prendre maintenant."
                        Samuel Benchetrit

                                 


A quoi sert le monde, quand "on a le cœur brisé / à prendre / battant la chamade sans personne pour l'entendre" ? Cette interrogation existentielle commence et clôt l'émouvant texte "Maman" de Samuel Benchetrit, une pièce douce sur l'amour filial mise actuellement en scène au théâtre Le Public avec autant de sensibilité que d'humour. Réflexion douce-amère sur le sens et la valeur de l'existence quand celle-ci démarre mal, s'enlisant dès la naissance, voire même avant: "Qu'est-ce qu'on a fait à ta mère avant que tu ne viennes au monde?" A la question Vivre ou pas? Samuel Benchetrit suggère que C'est vivre qui compte, opposant à l'alternative du néant le pari d'une vie librement assumée, l'essentiel n'étant pas tant de questionner l'existence, mais de la vivre pleinement. Bercé par les interrogations de quatre acteurs ne surjouant jamais mais d'autant plus convaincants, on ne peut s'empêcher d'évoquer le Sisyphe d'Albert Camus remontant inlassablement sa charge en y trouvant son bonheur. Et si le monde n'avait d'autre sens que celui que chacun de nous peut lui donner par sa propre action? Montée en 2021 à Paris avec Vanessa Paradis dans son premier rôle sur les planches, la pièce avait connu un succès retentissant, prolongé en tournée. C'est ce texte qui est repris et mis en scène par Patricia Ide et Magali Pinglaut sous les voûtes du Public pour notre grand plaisir.


Lu dans: 
Samuel Benchetrit. Maman. Grasset. 2021. 140 pages au Théâtre Le Public, jusqu'au 26 avril 25.
Aurore Vaucelle. Qu'est-ce qu'on a fait à ta mère avant que tu ne viennes au monde? La Libre Belgique. Culture. 12 mars 2025

19 mars 2025

Sagesse de Spinoza

 "Ne pas railler, ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre." 
                                    Spinoza

                         

C'aurait pu être une consultation assez banale lumbago / mal à la gorge / certificat, mais ce fut la cour des miracles, une après-midi erratique. Un homme bon réserve un repas dans un resto du quartier pour fêter sa femme, et précise "la petite table près de la porte". Un papa maghrébin projette un séjour dans sa maison natale de Tanger pour février, décommande par certificat médical le billet d'avion dix fois successivement et se décide à s'y rendre en septembre, suscitant la risée. Une jeune patiente hors-norme - un IMC (indice de masse corporelle) de 35 soit une obésité sévère - stade 2 ) prétexte un rhume pour un certificat inapproprié de dispense du cours de natation. Un patient chauffeur routier depuis vingt ans fait des apnées du sommeil mais refuse obstinément de les faire détecter à l'hôpital. On apprend la médecine en sept ans, on en met cinquante pour se débarrasser des réactions passionnelles immédiates – le rire moqueur, le mépris, la plainte ou la haine – qui nous enferment dans une perception biaisée du monde. Ces émotions primaires, bien qu’humaines, nous éloignent de la vérité et nous empêchent d’agir avec justesse.

Je mis des années pour comprendre que celui qui ne s'assied qu'à côté de la porte de son restaurant favori a souffert d'une rafle familiale alors qu'il n'avait que douze ans, et n'envisage aucune fête qui ne soit proche de la sortie. Que mon patient marocain collectionneur de certificats de reports de voyages développait une peur panique de déséquilibrer son diabète en vol loin de son médecin habituel. Que cette jeune naïade difforme estime qu'aucune règle ne force dans notre pays quelqu'un à se ridiculiser en public. Qu'un chauffeur de poids lourd préfère s'arrêter toutes les deux heures pour un roupillon que de se voir retirer au terme d'une nuit au labo du sommeil le permis et les primes de conduite qui y sont liées. Bref, ainsi se termine une consultation tissée de comportements aberrants orchestrée par un médecin complice pas trop fier de l'être: on aimerait tous être parfaits, les médecins aussi. Mais tout médecin soit-il, le doute persiste: si je portais ses sandales, quel marcheur ferais-je? Et les réponses perdent de leur évidence.


18 mars 2025

La Belle Province

 " Les Canadiens sont des gentils. Le meilleur souvenir d’une longue carrière de journaliste ne resterait-il pas ces mots d’un officier de l’immigration, dans les années 1980, à l’aéroport de Vancouver : "Vous avez des amis ici ? Non ? Vous allez vous en faire !" 

                           

Découvert à la lecture de mon journal ce weekend. Je partage bien cet avis, et envoie ce petit clin d’œil à nos amis de la Belle Province qu'on n'oublie pas.



17 mars 2025

Rêver le réel l'améliore

 "Le possible est une tentation que le réel finit toujours par accepter." 
                                Gaston Bachelard

                           

Que n'a-t-on décrit et invoqué le réel. Des générations d'enfants aussi rêveurs qu'étourdis se sont fait reprendre comme le Cancre de Jacques Prévert "redescends donc un peu dans la réalité." Un tumultueux homme politique montois ne dit rien d'autre lorsqu’il déclare vouloir "gérer le pays comme des ingénieurs, pas comme des poètes". Prévert repassera, mais on souhaiterait voir ce pays géré par des ingénieurs qui soient aussi des poètes. Quoi de plus évocateur du Réel que le cours d'une rivière, aux berges façonnées en permanence par les caprices des flots, tantôt en crue, tantôt menacés par la sécheresse. Le possible est à la réalité ce que le rêve et l’imprévisible sont au projet, et au progrès. Le philosophe Gaston Bachelard ne suggère rien d'autre que ce qui peut être imaginé, conçu ou envisagé, exerce une sorte de force ou de tentation sur le réel, c'est-à-dire le monde tel qu'il existe, tangible et concret. Il n'est de "réel" aussi immuable ou fixe qui ne soit influencé par des idées nouvelles ou des perspectives non encore réalisées. Laissons rêver les enfants qui seront les ingénieurs de demain.


Lu dans:
Gaston Bachelard (1864-1962). Fragments d'une poétique du feu. Evergreen. 1988. Ouvrage posthume.
Jacques Prévert. Paroles. Le Cancre. Folio 2016.  ‎ 352 pages.

15 mars 2025

Merci, Danke, Thank you, شكراً Shukran, (Moltes) gràcies, 唔該(晒), (非常/) 감사합니다 Gamsahabnida

 "Un seul mot, usé, mais qui brille comme une vieille pièce de monnaie : merci !" 
                            Pablo Neruda


Le genre de petite phrase qui habille nos remerciements, pareille aux chocolats MERCI de Ferrero - une trouvaille commerciale et un délice à la fois - , à conserver sur soi au cas où . 

14 mars 2025

Quand l'intelligence artificielle patine

 

"L’être humain accorde plus de crédit à une affirmation énoncée avec assurance qu’à une assertion suggérée avec prudence."
                            Jonathan Thomas et Ruth Mc Fadyen (1993. Heuristique de la confiance)


Constatation plutôt rassurante, l’IA (Intelligence artificielle) partage avec l'être humain ses faiblesses. Si elle perd pied dans une partie d'échecs, elle peut tricher sans qu’on lui en donne l’ordre. Elle peut aussi se tromper avec un aplomb digne d’un écolier qui ne connaît pas sa leçon et qui bluffe. C'est lié à sa nature même, les chatbots (robots conversationnels) étant incapables de discerner si une information est vraie ou fausse, générant uniquement du texte qui paraît plausible, comme l'explique volontiers ChatGPT lui-même quand on l'interroge sur ce qu'il est ... avant de renvoyer vers cinq études universitaires, dont une n’existe pas. Cette incertitude  parviendrait presque à nous faire sourire. Loys Bonod, enseignant de lettres parisien présente ainsi depuis deux ans à ses lycéens, afin d'éduquer leur esprit critique, des sujets de dissertation à soumettre à l'IA. Une de ces créations pseudo littéraires sur Arthur Rimbaud et son poème La Maline, place l'action dans une brasserie de la ville belge de Charleroi, prenant pour cadre "un paysage bucolique des Ardennes fait de navires et de ports étrangers". Hallucinations liées à la conception même de ces IA, qui opèrent de manière probabiliste : sur la base des milliards de textes ingérés dans leur phase d’apprentissage, elles calculent quelles suites de mots sont statistiquement les plus fréquentes après telles autres, sans critère de justesse ou de vérité, ni même de compréhension de la question. Parfois, ces erreurs proviennent simplement de sources de mauvaise qualité, comme il en existe tant sur Internet, Un chatbot ne « connaît » pas au sens strict, il se contente d’imiter le discours humain le plus plausible. L'affirmation peut d'ailleurs se retourner: certains d'entre nous, et nous-mêmes, ne fonctionnons-nous pas souvent comme des chatbots, préférant la restitution d'affirmations entendues à une pensée originale qui nous soit propre?


Lu dans: 
William Audureau. Comment l’IA nous trompe. Le Monde. Les décodeurs. 9 février 2025. 
MIT Techniology Review. Les modèles de raisonnement de l’IA peuvent tricher pour gagner des parties d’échecs. 5 mars 2025.
Arthur Rimbaud. La Maline. "Dans la salle à manger brune, que parfumait / Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise ..."

13 mars 2025

Le presque rien d'une empreinte

 

"Du moment que quelqu’un est né, a vécu, il en restera toujours quelque chose, même si on ne peut pas dire quoi.  Le « plus rien » est distinct à jamais du néant pur et simple. […] Il est sauvé de l’inexistence éternelle, sauvé pour l’éternité. Cet « avoir été » est comme le fantôme d’une petite fille inconnue suppliciée et anéantie à Auschwitz. Un monde, où le bref passage de cette enfant sur la terre a eu lieu, diffère désormais irréductiblement et pour toujours d’un monde où il n’aurait pas eu lieu. Ce qui a été ne peut pas ne pas avoir été."  
                                Vladimir Jankélévitch


L'ombre est venue sans bruit, a longé le mur et comme un rite d'amitié au moment d'éteindre la lumière, les photos au mur des parents et amis disparus dans l'année paraissent me souhaiter la bonne nuit. Cimetière intime où s'estompent les préséances, les préférences, les distinctions de fortune et de diplômes, leur disparition les rends tous également chers dans nos cœurs. Souriants ou mélancoliques, leurs visages nous invitent à nous arrêter un court moment sur ce qu'est l'empreinte, ce presque rien qui aura changé nos vies, nous laissant différents par le simple fait de les avoir côtoyés. Bien sûr, il n'y a plus rien, et pourtant ce n'est pas le néant: tu es venu(e) dans ma vie, on s'est croisés, et je serais différent si je ne t'avais connu(e). Le néant n'est pas voué à disparaître, alors que le "plus rien" est la preuve même que quelqu'un a été.


Lu dans:
Vladimir Jankelevitch La mort. Flammarion. 1966.
cité par Éric Brogniet dans Le Carnet et les instants. Le poème et les mots dits. 12 mars 2025

12 mars 2025

L'âge de raison

"Cela existe, l’âge de raison pour les hommes ?
Mais oui, mais oui, un pied dans la tombe
ils comprennent
qu’ils ont été terriblement inattentifs
et qu’ils ont laissé passer le bonheur. »
                        Jean Anouilh.

 


Un jour, il put quitter l'hôpital. Pour quel avenir? Les médecins ne se prononçaient guère, mais lui y croyait. Il avait découvert dans une revue l'existence d'une "monkey moto", la Honda Z50M, si basse qu'il saurait l'enjamber malgré sa coxarthrose, transportable dans le coffre d'une voiture, et soudain il recréait le monde. Sa femme conduirait l'auto, et ensuite lui longerait le canal reliant Gand à Bruges, toute son enfance. On acheta la moto, il ne revit ni Gand ni Bruges, mais comme le chantait si bien Pierre Rapsat, "tous ces rêves, tous ces rêves que l'on ne faisait plus / tous ces rêves que l'on croyait perdus / Il suffit d'une étincelle pour que tout à coup/ ils reviennent de plus belle / ces rêves qui sont en nous " embellirent ses dernières semaines de vie. 


Lu dans:    
Jean Anouilh. Les poissons rouges.  Folio. 1972. 156 pages. Extrait p.31.

11 mars 2025

Une déchirure

 

"Elle tendit les bras, voulut le retenir, mais il s’échappait déjà, happé par la nuit et la ville indifférente. Alors, elle s’effondra sur le seuil, les sanglots étranglant sa poitrine." 

                                Émile Zola. L'Assommoir


Comme tous ces endroits de rêve qui parsèment notre monde, il ne faut pas se forcer pour tomber sous le charme de Marrakech, qui d'une simple oasis a su faire ce "Paradis du désert", chanté par tant d'artistes, hommes de pouvoir et industriels ayant colonisé les Riads ombragés, les Palais et les hôtels de luxe. Marrakech est devenu un livre de photos dont chaque page vend son rêve avec brio. Nous voici tour-à-tour Sindbad le marin, Lawrence d'Arabie, Homère attiré par les Sirènes, et tant d'autres. 

Jusqu'à ce que... notre petit taxi jaune  soit bloqué par un fourgon cellulaire quittant le commissariat de police pour la prison. Deux femmes voilées, une mère et sa fille, s'y accrochent,  tambourinent les fenêtre grillagées, tentent en vain de le ralentir pour que leur fils les voie une dernière fois, qu'il entende qu'elles l'aiment. Elles hurlent et pleurent leur détresse, leur honte, l'incrédulité de ce qu'elles vivent. Derrière tout criminel on oublie que s'effondre une maman. Ému, je me retourne vers nos petiots "Je viens d'assister à quelque chose de triste" - et ils me coupent "nous aussi" : la douleur d'être maman, d'être mère comme toutes ces mères qui tentent de transmettre le meilleur tout en sachant qu'elles donneront peut-être aussi le pire, la douleur de voir s'éloigner celui qui reste avant tout leur fils, la honte aussi d'entendre les cris de condamnation dans la bouche de ceux qui ne connaissent rien des mots prononcés dans l'enfance, ni l'incertitude de l'avenir. Paradoxe insolite: nous emmenions nos deux têtes blondes pour un rêve éveillé et nous découvrons soudain avec eux que la vie, c'est la vie, quel que soit le pays, que l'on soit en vacances ou au travail. Les plus beaux albums photos contiennent dans leurs pages des feuilles mortes des quatre saisons de la vie, et l'histoire du bonheur intimement mêlée au malheur. En les amenant au théâtre, soudain s'était proposée une découverte des coulisses, qui se révèle au final un malentendu inespéré.

La fin de l'histoire racontée par Zola se termine pour autant mieux qu'imaginée. Dans L'Assommoir, Gervaise Macquart incarne une femme courageuse, broyée par ce moment déchirant où elle voit son fils, Étienne Lantier, emporté par la police. Elle le perd définitivement, emporté autant par la ville impitoyable que par le crime qu'il porte en lui. Il réapparaîtra plus tard dans Germinal, ouvrier engagé dans la lutte sociale des mineurs. La scène de L’Assommoir qui marque le désespoir de Gervaise est aussi le début du destin d’Étienne en tant que futur militant, entamant sa véritable existence. Mêler Zola et une balade en calèche à Marrakech, décidément rien n'est impossible pour saisir le suc et le sens de l'existence.


Lu dans:
Emile Zola. L'Assommoir. 1877
Emile Zola. Germinal. 1885
Delphine de Vigan. Rien ne s’oppose à la nuit. Jean-Claude Lattès. 2011. "Être mère, c'est tenter de transmettre le meilleur tout en sachant qu'on donnera aussi le pire."


10 mars 2025

Une Histoire qui se répète

"Qui peut dire si, dans l’avenir (…), les deux puissances qui auraient le monopole des armes nucléaires ne s’entendraient pas pour se partager le monde, et à la suite d’on ne sait quel bouleversement politique et social, en viendraient à se confondre. Sans mettre en doute la sincérité et la résolution de ses alliés américains, mon pays doit tenir compte de ce que l’avenir comporte pour lui d’inconnu et le passé d’expérience. »

                        Charles de Gaulle

                                   


Paroles échangées en novembre 1959 par le général de Gaulle , fraichement revenu au pouvoir quelques mois plus tôt, et le président américain Dwight Eisenhower arrivé en fin de son second mandat. La France justifiait sa décision de se doter de l'arme nucléaire. Le poids de la mémoire historique fait référence au retrait de la garantie anglo-américaine après la Première Guerre mondiale (décidant de ne pas honorer une promesse de garantie de sécurité faite à la France en 1919), à la conférence de Yalta (1945) élevée par le Général en véritable mythe du partage du monde, et à la crise de Suez (1956) lorsque les États-Unis votent avec l’Union soviétique la résolution 997 (ES-I) exigeant un cessez-le-feu immédiat.  Paroles prémonitoires à la lecture des événements actuels, nous rappelant le sens premier de la "prophétie", qui n'est pas une prédiction de l'avenir mais un éclairage de ce que l'avenir pourrait être, fondé sur une analyse du passé. Le prophète n'est pas un devin, mais une voix dans le désert des certitudes communément admises, avertissant, discernant à la fois des périls et des solutions inexplorés, sans crainte de passer pour un farfelu.


Lu dans:
Maurice Vaïsse. OTAN : Les propos du général de Gaulle en 1959 collent à l’actualité de 2025. Le Monde 6 mars 2025. Tribune.
M. Vaisse est historien et spécialiste des relations internationales, auteur de « La Grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969 » (Fayard, 1998).

01 mars 2025

This is your land

 "Il est inexplicable que nous soyons vivants. Je remonte, ma lampe électrique à la main, les traces de l'avion sur le sol. À deux cent cinquante mètres de son point d'arrêt nous retrouvons déjà des ferrailles tordues et des tôles dont, tout le long du parcours, il a éclaboussé le sable. Nous saurons, quand viendra le jour, que nous avons tamponné presque tangentiellement une pente douce au sommet d'un plateau désert.  (..) Maintenant la flamme monte. Religieusement nous regardons brûler notre fanal dans le désert. Nous regardons resplendir dans la nuit notre silencieux et rayonnant message. Et je pense que s’il emporte un appel déjà pathétique, il emporte aussi beaucoup d’amour. Nous demandons à boire, mais nous demandons aussi à communiquer. Qu’un autre feu s’allume dans la nuit, les hommes seuls disposent du feu, qu’ils nous répondent."
                        Antoine de Saint-Exupéry

                             


Un feu de bois dans la nuit, une attente et la magie d'un ciel étoilé. Me revient cette scène du film *Easy Rider* (1969), film culte de Dennis Hopper, où les personnages, Wyatt (Peter Fonda) et Billy (Dennis Hopper), philosophent autour d'un feu de leur quête de liberté, du sens de la vie et de la contre-culture des années 1960. Amérique, que de rêves! Celle d'Omaha Beach, celle que chantait Joe Dassin, celle de Springsteen et Pete Seeger chantant Woody Guthrie pour Obama, celle du petit pas du premier homme sur la Lune, Un jour déjà lointain, j'eus la chance d’atterrir de nuit à l'aéroport La Guardia de New York, survolant la Grosse Pomme brillant de mille lumières. J'en eus des larmes d'émotion, tentant de localiser Harlem, le Bronx, Liberty Island... Aujourd'hui, incrédules, on s'interroge: comment tout ce à quoi on assiste est-il possible?


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Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard. NRF. 1939 . 224 pages.