"Pour un peu, il avait déjà enjambé le seuil, son pied était déjà en l'air, le gauche, sa jambe était déjà lancée en avant... quand il le vit. Il était posé devant sa porte, à moins de vingt centimètres du seuil, dans la lueur blafarde du petit matin qui filtrait par la fenêtre. (./.) Alors il vit le pigeon, tassé dans un coin tout à l'extrémité du couloir. Il y avait si peu de lumière qu'il ne put distinguer si la bête étaient endormie ou éveillée, il n'avait d'ailleurs aucune envie de le savoir. Il aurait préféré ne l'avoir pas vue du tout."
Patrick Süskind. Le Pigeon
Foutue manie de laisser la porte ouverte quand revient le printemps.
Cette semaine cela m'a valu une belle frayeur face à un intrus, un
ramier adulte effrayé de ne pas retrouver la sortie, voletant avec
fracas dans la pièce, se heurtant aux carreaux, perdant ses plumes,
aussi apeuré que moi-même. Soulagés tous les deux qu'il retrouve le
chemin du jardin. Depuis, je veille à fermer fenêtres et portes quand je
quitte la pièce, on n'est jamais assez prudent. Ainsi se déroule la vie
des hommes, préférant le clos et une lumière tamisée à l'exubérance du
printemps pour éviter l'irruption d'un inoffensif inattendu. Que de
pigeons dans nos existences entravent ce qui aurait pu être vécu.
Lu dans:
Patrick Süskind. Bernard Lortholary (Traducteur). Le Pigeon. Le Livre de Poche. 1988. 88 pages.
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