Ce matin, dans la forêt où j’habite, à Orford en Estrie [sur la rive sud du Saint-Laurent, au centre du Québec], je regarde les années que racontent les arbres, j’écoute les histoires qu’ils portent jusqu’à moi, chacun à travers la forme de son ossature, la densité de son feuillage, et les branches des uns et des autres qui s’entrelacent et s’enchevêtrent comme les fragments d’un même récit. Mais plus au nord, une partie de cette histoire est en train de brûler. Du temps s’effondre. (..) Où avons-nous échoué ? Que manque-t-il pour que nous prenions enfin acte de cette réalité qui appelle des choix sans doute radicaux ? Que faudrait-il d’autre pour nous convaincre que, sur le fil du vivant, nous participons d’une même histoire, et que nous portons à bout de bras le rêve fragile d’une humanité meilleure ? Au milieu des flammes déchaînées, nous sommes semblables à ces arbres qui ont creusé la terre pour y enraciner du temps, tendu très haut leurs espoirs, et soudain se consument. Que nous manque-t-il pour sentir que nous sommes ce qui brûle avec eux ?"
Hélène Dorion
En plus de ravager le territoire, ces feux mettent en danger la vie
des secouristes, forcent l’évacuation de milliers de personnes, la
fermeture de routes, et le smog s’est propagé du Québec vers l’ouest, en
Ontario, la province voisine, puis au sud vers les Etats-Unis, où une
centaine de millions d’Américains ont fait face à une grave dégradation
de la qualité de l’air. La fumée s’est dégagée jusqu’en Norvège. Les vents ignorent les frontières: nous sommes liés les uns aux autres.
Lu dans:
Hélène Dorion est une poétesse et romancière québécoise. Que nous
manque-t-il pour sentir que nous sommes ce qui brûle avec les arbres ?
Le Monde . Tribune. 13 juin 2023.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire