30 novembre 2022

Sagesse de Karen Blixen

 "Lorsque mon coeur évoque l'Afrique je revois les girafes au clair de lune, les champs labourés, les faces luisantes de sueur pendant la cueillette du café. L'Afrique se souvient-elle encore de moi? Est-ce que l'air vibre sur la plaine en reflétant une couleur que je portais? Mon nom intervient-ils encore dans les jeux des enfants? La pleine lune jette-t-elle sur le gravier de l'allée une ombre qui ressemble à la mienne?"

                            Karen Blixen





Que d'images captées rangées dans nos têtes. Heureusement que la mémoire trie. Simultanément, dans combien de maisons, d'yeux, de souvenirs avons-nous laissé une empreinte, imprimée parfois pour de longues années. Combien de rêves peuplons-nous, et combien de projets nous impliquant furent-ils élaborés à notre insu. Mieux vaut peut-être ne pas le savoir.




Lu dans:
La Ferme africaine. Karen Blixen. Gallimard NRF. 2005. 420 pages

28 novembre 2022

Sagesse de lapin

 

"Dans la forêt de l'automne (..)
au bois de Morte Fontaine
où vont à morte saison
tous les chasseurs de la plaine
c'est une révolution         car
ce matin un lapin
a tué un chasseur.
C'était un lapin qui ,
c'était un lapin qui ,
c'était un lapin qui ...
avait un fusil."  
                    Chantal Goya

 
 

Entendue ce vendredi soir lors de l'émission "ces chansons de votre enfance" , "Un lapin" de Chantal Goya m'a fait sourire. L'histoire de la chanson serait basée sur un fait réel. Chantal Goya, Jean-Jacques Debout et leurs enfants vivaient à la campagne, dans la forêt de Houdan. Un dimanche de septembre 1977, ils virent arriver un groupe de chasseurs démontés car, venant de Paris pour chasser, ils avaient surpris des enfants en train de crever leurs pneus de voitures. Pas de chance, les enfants du couple faisaient partie de ce groupe et se seraient défendus comme de beaux diables: « On en a marre de vous voir tuer les lapins. D'ailleurs ma mère va faire une chanson pour que vous cessiez." En une nuit, Jean-Jacques Debout au piano et Roger Dumas à la plume auraient créé la chanson, et les enfants la gestuelle, reprise par Chantal Goya à la télévision. En quelques jours, il s'en écoulera plus de 400 000 exemplaires.



Lu dans:
Un lapin. Paroliers et musique Jean-jacques Debout, Roger Dumas. RCA. 1977

Le dard de l'abeille

   "Le jour de l'enterrement de sa mère, C. a été piquée par une abeille. Il y avait beaucoup de monde dans la cour de la maison familiale. J'ai vu C. dans l'infini de ses quatre ans, être d'abord surprise par la douleur de la piqûre puis, juste avant de pleurer, chercher avidement des yeux, parmi tous ceux qui étaient là, celle qui la consolait depuis toujours, et arrêter brutalement cette recherche, ayant soudain tout compris de l'absence et de la mort. Cette scène, qui n'a duré que quelques secondes, est la plus poignante que j'aie jamais vue. Il y a une heure où, pour chacun de nous, la connaissance inconsolable entre dans notre âme et la déchire. C'est dans la lumière de cette heure-là, qu'elle soit déjà venue ou non, que nous devrions tous nous parler, nous aimer et même le plus possible rire ensemble."

         Christian Bobin. Ressusciter



Apprécié de tous, un collègue de longue date est célébré ce samedi matin au cours d'une belle cérémonie de funérailles. Son départ et le vide qu'il laisse me remettent en mémoire le beau texte de Christian Bobin, décédé cette semaine comme il a vécu, en s'excusant presque. Restent ses parole de consolation, et les centaines de bébés - dont les nôtres - que notre collègue a mis au monde. Leur passage sur terre nous a améliorés.


Lu dans :
Christian Bobin. Ressusciter. Gallimard. NRF. 2001.

26 novembre 2022

Quand la médecine est incertaine

 "Le problème avec les experts, c'est qu'ils n'ont aucune idée de ce qu'ils ignorent."                                                                 Nassim Nicholas Taleb

                         

 
 


Une patiente, jeune encore, présente une douleur inhabituelle de la région du cou et de l'oreille. L'absence d'autres symptômes rend tout diagnostic hasardeux. On traquera dans les jours qui viennent une éruption de zona, un écoulement d'otite, la douleur persistante d'une névrite du nerf occipital d'Arnold. Le lendemain, elle a de la fièvre, mal à la tête et à la gorge, tousse, se sent nauséeuse. On évoque un début de grippe, diagnostic d'exclusion dans toute situation clinique incertaine. Le surlendemain, trois de ses collègues enseignantes lui apprennent qu'elles font le Covid. Elle refait un autotest, qui cette fois est positif.  Ce voyage dans l'incertitude est une école de modestie pour le médecin, contraint de se mouvoir à longueur de journée dans l'absence d'un diagnostic précis face au patient inquiet qui l’interroge. Pourquoi ce Covid chez une patiente qui a reçu ses quatre doses de vaccin, et qui de surcroît avait déjà contracté le coronarovirus l'an passé? Quel est le lien entre sa douleur d'oreille - toujours présente - et sa virose? Incertitude, incertitudes: la médecine connaît-elle tout? le médecin connaît-il tout de la médecine? la photographie du moment présent sans connaître l'évolution dans les jours à venir est pareille à ce que voit un aveugle dans le brouillard. Reste à trouver les mots pour l'expliquer en toute modestie à la patiente, sans potentialiser son anxiété. Rude métier que le doute.






Lu dans:
Nassim Nicholas Taleb. Le Cygne noir. La puissance de l'imprévisible. Traduit par : Christine Rimoldy. Les Belles Lettres. 2012. 608 pages.

24 novembre 2022

Jours de novembre

 "C'est le mois de novembre, l'homme entend tomber le rideau métallique de l'hiver. Dans les nuits où le vent arrache les arbres les plus exposés à leurs racines, la pierre et le bois de la cabane se frottent entre eux et lancent une plainte. Le feu fait craquer des baisers de réconfort. L'âpreté extérieur donne des coups d'épaule, mais la flamme allumée garde unis le bois et la pierre. Tant qu'elle brille dans le noir, la pièce est une forteresse. Et l'harmonica est là aussi pour dominer le bruit de la tempête. "

                                                            Erri de Luca




Le froid et la décoloration progressive du paysage possèdent une sombre beauté que les rayons frisants du soleil exaltent. Les jours se font courts, quand donc s'arrêtera cette chute? Période où on apprécie l'abri qu'offre un modeste chalet, son volume réduit et le feu de bois  qu'une seule bûche réchauffe. Ah si la vie pouvait être si simple.




Lu dans:
Erri De Luca  (Auteur), Danièle Valin  (Traduction). Le poids du papillon. Folio . 2012. 96 pages.

20 novembre 2022

 "Vivre, c'est faire de son rêve un souvenir."

                    Sylvain Tesson

 


Lu dans:
Sylvain Tesson. Petit traité sur l'immensité du monde. Pocket. 2008. 192 pages 


19 novembre 2022

La vieille grincheuse

 "Une vieille femme grincheuse, un peu folle

Le regard perdu, qui n'y est plus tout à fait,
Qui bave quand elle mange et ne répond jamais, (..)
Je suis vieille maintenant, et la nature est cruelle,
qui s'amuse a faire passer la vieillesse pour folle.

Mon corps s'en va, la grâce et la force m'abandonnent.
Et il y a maintenant une pierre la ou jadis j'eus un cœur.
Mais dans cette vieille carcasse, la jeune fille demeure
Dont le vieux cœur se gonfle sans relâche.
Je me souviens des joies, je me souviens des peines,
Et à nouveau je sens ma vie et j'aime.

Je repense aux années trop courtes et trop vite passées,
Et accepte cette réalité implacable que rien ne peut durer
Alors ouvre les yeux, toi qui me soignes et regarde.
Que vois-tu, que vois-tu
Quand tu me regardes, que penses-tu?
Non la vieille femme grincheuse... regarde mieux, tu me verras !"

            Ce poème a été retrouvé dans les affaires d'une vieille dame Irlandaise après sa mort.
 


18 novembre 2022

Que nous disent les Gingko de la rue


"La nature qui se fane, l'automne qui vient.
Reste tranquille, feuille, garde ton sang-froid
lorsque le vent veut t'enlever au loin.
Poursuis tes jeux et ne te défends pas,
laisse les choses advenir sans heurts,
laisse enfin le vent qui te détacha
te conduire jusqu'à ta demeure."
                        Hermann Hesse. Feuille morte

 



Ce matin une lumière rasante fait flamboyer les Gingko biloba de la rue. On ne peut qu'être émerveillé par tant de beauté. De nombreuses feuilles dorées, si particulières dans leur forme, jonchent le sol et ont revêtu l'auto d'un surplis de fête. La robustesse du Gingko, la plus ancienne espèce d'arbres de la terre, apparus il y a plus de 270 millions d'années et dont certains spécimens auraient une durée de vie excédant les 3 000 ans, fait rêver. Leur fragilité n'est donc qu'apparence. Que les mêmes feuilles aient jonché le sol de la planète bien avant l'apparition de l'homme relativise l'importance de notre espèce dans l'histoire de la Terre. Ces arbres nous survivront sans aucun doute, ainsi que l'émotion que leur beauté suscite.  


 
Lu dans:
Hermann Hesse. Éloge de la vieillesse. Le Livre de Poche. 2003. 158 pages

16 novembre 2022

Plus haut plus loin

 "Pourquoi l’homme avait-il attendu si longtemps pour grimper les montagnes ? Techniquement un Grec antique aurait pu escalader le mont Blanc. Quand on élève le Parthénon, n’est-on pas capable de fabriquer une paire de crampons ? Pourquoi avait-il fallu attendre la Renaissance et les Lumières ? L’empêchement avait été moral plus que technique. Le difficile n’avait point consisté à atteindre le sommet mais à s’octroyer le droit de le faire. Quand les montagnes symbolisaient les temples, on n’allait pas y voir."

                            Sylvain Tesson

 

 Assistant au lancement réussi d'Artémis vers la Lune, reviennent les éternelles questions de sa raison d'être en temps de restrictions. En attendant Mars, et puis encore, et encore. "Ailleurs" est un mot plus beau que "demain", et comme les plus grands sommets ont été vaincus, tout se passe comme si l'homme s'octroyait le droit de reprendre la course vers l’inatteignable.


Lu dans:
Sylvain Tesson. Blanc. Gallimard. 2022. 240 pages

Les rubaiyat de Sylvain Tesson


"Un premier verre : pas besoin de berceuse !
Un second : pas besoin de couvertures !
Un troisième : pas besoin de lit !"
                Sylvain Tesson

 


Dix siècles les séparent, le vin les rapproche, on retrouve chez Sylvain Tesson la verve des perles mystiques des rubaiyat (quatrains) d'Omar Khayyam. Les deux se lisent avec un plaisir identique.

 
Lu dans:
Sylvain Tesson. Blanc. Gallimard. 2022. 240 pages.

15 novembre 2022

De l'art de perdre au poker

 "Nissim m’avait appris le poker, mais je n’étais pas bon; les cartes m’ennuyaient. Je lui ai raconté un jour l’histoire du petit chien qui perdait régulièrement parce que, chaque fois qu’il avait un bon jeu, il ne pouvait s’empêcher de remuer la queue. Cela l’a fait beaucoup rire et ma carrière de joueur de cartes s’est arrêtée là."

                        Elie Barnavi
 
 


C'est tout le bonheur de vivre que résume en quelques mots ce portrait d'un chiot qui remue la queue quand il sort un bon jeu au poker. Ils me rappellent un délicieux souvenir d'enfance où, muni d'un mot de maladie le jour de la kermesse d'Anderlecht, j'étais devenu tellement rouge quand l'instituteur m'avait demandé ce dont je souffrais, qu'il s'était pris d'un fou-rire que la classe avait suivi comme un seul homme. "Il est des silences plus sincères que les plus beaux discours" avait conclu notre maître, "que ceci vous serve de leçon." On apprend plus parfois en deux minutes qu'en une année.


 
Lu dans:
Elie Barnavi. Confessions d'un bon à rien. Grasset. 2022. 512 pages.

14 novembre 2022

Sagesse chinoise


 "Il est difficile d'attraper un chat noir dans une pièce sombre
surtout lorsqu'il n'y est pas."
                        Proverbe chinois


Il redoutait l'Alzheimer, on lui diagnostiqua une coeliaquie de l'adulte. Il y gagna au change, pas en inquiétude: craignant la peste, on héritera du choléra. Par soir incertain, évitons l'insomnie que procure le danger d'autant plus hypothétique qu'il est fantasmé.


12 novembre 2022

Petit-déjeuner littéraire 27/11 Bibliothèque Anderlecht

 


   
L'équipe qui organise la rencontre du 27 novembre se désole de ne plus pouvoir ajouter des inscriptions, faute de place, et me demande de vous en prévenir.
Amicalement.
CV

Armistice

 "Depuis la mort de Nourry il était arrivé deux lettres à son nom. On aurait pu les retourner avec le brutal avis de décès, dans le coin : "Le soldat destinataire n'a pu être atteint." Demachy avait cru mieux faire de les prendre. Il les sortit de sa cartouchière, les déchira sans les ouvrir, et sur cette tombe réglementaire de soldat, carrée comme un lit de caserne, il effeuilla les pétales de lettres, pour qu'il pût au moins dormir sous des mots de chez lui."

                                Roland Dorgelès. Les Croix de Bois
 

Que ces pétales de lettre aient pu se transformer plus tard en pétales de coquelicot, symbole de la campagne de 14, n'étonnera guère.  L'histoire pourtant se répète, narguant l'écritoire Ne tenez jamais la Paix pour acquise , surmontant  le récent Jardin de la Paix commémorant la bataille de Flesquières (Cambrai) à l'automne 1914. Menée par une compagnie de chasseurs dans des conditions atroces, elle laissa sur le sol cinq cents tués ou blessés pour gagner une ligne de 150 mètres sur un front d’un demi-kilomètre. Dans la poche d'un soldat on retrouve une lettre, saisie par la censure et renvoyée au colonel, dans laquelle il raconte ses conversations avec les Allemands, comment ensemble ils avaient maudit la guerre.  Il décrit les officiers d’active, montrant les qualités de certains et l’insuffisance de beaucoup. Il évoque leur ignorance des réalités politiques et diplomatiques de la guerre, qui favorisait « une paresse d’esprit à laquelle la vie de caserne ne les avait que trop inclinés, et entretenait leur goût marqué pour les occupations futiles, cartes, apéritifs, femmes et bavardages stériles." La proximité de contenu des récits de conscrits russes ces derniers jours et de ces lettres datant d'un siècle interpelle et donne à cette Armistice 2022 une densité particulière.



Lu dans:
Roland Dorgelès. Les Croix de bois. Prix Fémina 1919. Albin Michel. 1919. 104 pagex.
Roger Cadot. Les Souvenirs d’un combattant de 14-18. Publibook. 2010. 671 pages. Extraits p. 333

10 novembre 2022

 

"Quand je me contemple je me désole
quand je me compare je me console."
            attribué à Talleyrand
 


Ce désopilant aphorisme m'a fait sourire, j'espère qu'il en sera de même pour vous.


09 novembre 2022

Une invitation de la Bibliothèque de l'Espace Carême

 

Amusant retour sur un passé dans des locaux où j'ai lu et emprunté d'innombrables ouvrages durant tant d'années, ce dimanche 27 novembre 2022 à 10 heures la bibliothèque d'Anderlecht m'invite à une rencontre avec ses lecteurs, animée par Véronique Thyberghien. Les extérieurs qui le souhaiteraient sont les bienvenus moyennant inscription préalable au 02.526.83.30.


Lieu éminemment symbolique en ce qui me concerne, à 200 mètres de notre maison et de mon lieu de pratique depuis tant d'années, de la collégiale Saint Guidon qui nous a mariés et a accompagné nos défunts, de la Maison d'Erasme et de son jardin des Philosophes, du petit Béguinage ancestral remis à neuf depuis peu, de la romantique rue Porselein qui orne la couverture des Carnets Buissonniers, débouchant sur l'unique et mignonne librairie d'Anderlecht - la bien nommée Herbes Folles - et de cet espace de rencontre convivial si ancré dans le paysage qu'est La Fourmilière. Le tout dans un rayon de moins de 500 mètres, et on dira encore que la grande ville est inhumaine...


Petit partage d'émotion bien davantage qu'une invitation dans la mesure où la grande majorité d'entre vous habite bien loin de chez nous, mais nos vies sont faites d'émotions.

Bien amicalement.  CV



Le long passé

 "J'ai rêvé de mon père.

Il était jeune et sage à la fois, la nuit permet de pareils raccourcis.
Il m'attendait à la sortie de l'école, m'a emmené chez mes grands-parents.
Je me suis réveillé habité par tout le bonheur du monde.".  
                            CV
 
 



 
Lu dans:
Carl Vanwelde. Le Carnet Moleskine. Eranthis. 2011. 86 pages. Extrait p. 45

07 novembre 2022

Quelle trace?

 "Les escargots dans le jardin, quand ils se mettent en route, laissent derrière eux un petit ruban luisant, leur sillage. Que laisse à déchiffrer la piste d'un humain ?"

            Claude Roy.

 

 

Jours de silence. Pour certains, le temps du recueillement sur les tombes d'être chers. Ce jour, quelques visites à des patients qui évoquent leur départ. La semaine passée, funérailles d'un patient cher décédé durant ses vacances en mer, les images heureuses défilent à l'écran du crématorium, and so what? Pour tous, l'infini silence sans réponse.


Lu dans:
Claude Roy; L'ami qui venait de l'An Mil. Gallimard. Coll. L'Un et l'Autre. 1994. 176 pages.