"Je ne m’étais jamais soucié de ma santé ni de mon âge. Mais, depuis quelques temps, je me sentais fatigué, mes nuits étaient interrompues de brusques réveils - et dans ces heures-là la lucidité est féroce. (..) J’écorchais les noms propres comme si celui de l’un se mêlait à celui de l’autre, les numéros de téléphone les plus familiers m’échappaient comme si le fil qui me reliait à mes amis pouvait à chaque instant se casser. J’avais souvent mal au dos, parfois des quintes de toux, bref je me sentais non pas vieux mais pire vieillissant, inexorablement vieillissant, et j’avais du mal à admettre ce constat d’une progressive défaillance du corps. Ce que je redoutais le plus, c’était de me trouver bientôt incapable d’être sensible à du nouveau, d’être marqué et modifié par de l’inattendu - ou alors ce ne serait qu’en des moments fugaces qui ne laisseraient aucune trace. Mon identité était acquise, je serais réduit à cela, à ce peu de chose qui ne cesserait plus de m’accompagner. De là devait venir ma morosité matinale : cette lassitude amère à me retrouver le même, jour après jour, alors que dans mes nuits riches d’apparitions, d’histoires, d’événements, mes nuits méchamment interrompues, j’avais été mille autres."
J.P Pontalis
Lu dans:
J.-B. Pontalis Un Homme disparaît. Gallimard. 1996. 160 pages. Extrait pp.122,123
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