02 décembre 2021

Un homme disparaît

  "Je ne m’étais jamais soucié de ma santé ni de mon âge. Mais, depuis quelques temps, je me sentais fatigué, mes nuits étaient interrompues de brusques réveils - et dans ces heures-là la lucidité est féroce. (..) J’écorchais les noms propres comme si celui de l’un se mêlait à celui de l’autre, les numéros de téléphone les plus familiers m’échappaient comme si le fil qui me reliait à mes amis pouvait à chaque instant se casser. J’avais souvent mal au dos, parfois des quintes de toux, bref je me sentais non pas vieux mais pire vieillissant, inexorablement vieillissant, et j’avais du mal à admettre ce constat d’une progressive défaillance du corps. Ce que je redoutais le plus, c’était de me trouver bientôt incapable d’être sensible à du nouveau, d’être marqué et modifié par de l’inattendu - ou alors ce ne serait qu’en des moments fugaces qui ne laisseraient aucune trace. Mon identité était acquise, je serais réduit à cela, à ce peu de chose qui ne cesserait plus de m’accompagner. De là devait venir ma morosité matinale : cette lassitude amère à me retrouver le même, jour après jour, alors que dans mes nuits riches d’apparitions, d’histoires, d’événements, mes nuits méchamment interrompues, j’avais été mille autres."

                        J.P Pontalis




Belle réflexion douce-amère sur la réalité qui nous attend tous, à des degrés divers. Certains s'y reconnaîtront déjà peut-être, en tout ou en partie. Mais comme on le plaçait jadis à la première page des livres-récits  "Ce roman est une œuvre de pure fiction. En conséquence, toute ressemblance, ou similitude avec des personnages et des faits existants ou ayant existé, ne saurait être que coïncidence fortuite." A fortiori avec moi-même, mais sait-on jamais, les choses vont parfois si vite.



Lu dans:
J.-B. Pontalis Un Homme disparaît. Gallimard. 1996. 160 pages. Extrait pp.122,123

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