"Avez-vous déjà rencontré un plateau-repas dans un ascenseur ? C’est ce qui m’est arrivé ce week-end. J’ai commandé à dîner sur internet. Quand l’interphone a sonné, j’ai indiqué le troisième étage. Une voix m’a demandé s’il y avait un ascenseur. Bizarre : un repas pour quatre, si lourd… ? J’ai ouvert la porte pour accueillir le livreur, et j’ai entendu l’ascenseur monter. Mais il n’y avait personne dedans. Juste le colis fumant."
Michel Eltchaninoff
Faire de l'ascenseur un drone de livraison, le support de la fête
devenu simple marchandise, voilà qui n'est guère romantique. Ce ne sera
pas le cas de ce vieux couple, car ce soir, il y a cinquante ans... Elle
a garni la table, imaginé le menu, choisi les
ingrédients, fait mijoter la cocotte, chambré le vin, confié
l'ambiance sonore à Glenn Gould, crié "à table". Elle s'inquiète si
c'est chaud, si c'est bon, elle s'inquiète de lui
en somme. Les paroles sont rares et denses, espoirs, regrets,
nouvelles confidences libérées quand le vin est doux et la chaire
savoureuse. Un
repas c'est de la matière qui se fait esprit. Notez que, comme le
relève avec finesse Michel Eltchaninoff, les boutiques, c'est un peu
la même chose. Ce qui nous manque le plus maintenant que leurs
volets sont clos, "ce ne sont pas les produits qu'on y achète, mais
le commerce avec les commerçants. Oh, un tout petit commerce : des
politesses, des propos banals, des questions de béotien et des
conseils de spécialistes, des blagues – la petite monnaie de la
discussion. Sans ces conversations anodines et aussitôt oubliées, le
commerce a nettement moins de saveur." Un repas anniversaire, et les
emplettes qui le précèdent, l'essentiel est l'impalpable.
Lu dans:
Michel Eltchaninoff. La lettre de Philosophie Magazine. 16 novembre
2020
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