"Beaucoup de confessions sont sans doute sincères, mais sont-elles vraies pour autant ?"
Carole Martinez
Je laisse ma main caresser le bois de mon bureau. Il en a tant
entendues, en tant d'années, des histoires de passions déçues, des
rêves de carrières, d'expéditions et d'aventures plus romanesques
les unes que les autres, toutes ces vies dont on rêve avant de les
confier sous le sceau du secret comme pour leur donner une
existence réelle. "Petite fille, je dansais comme personne, mais
ma mère ...", "je voulais faire médecine, quand vint la guerre",
"nous allions nous marier en Écosse au printemps, quand j'appris
qu'il en épouserait une autre". Destinées manquées ou rêves
prolongés sans connaître de réveil? Je tente d'imaginer l'autre
récit, l'enfant pataude devant le miroir de sa chambre esquissant
un entrechat sans grâce, la grande sœur soignant sa cadette comme
quand je serai médecin, le bel aviateur anglais croisé sur
une plage romantique et rentré au pays concret après la guerre,
tout ce réel supplantant des vies rêvées qui auraient été si
belles. Et si ces histoires construites appartenaient à un chemin
nécessaire pour survivre, une image de soi plus excitante que la
silhouette délavée qu'on traîne, une fiction qui permettrait
d'accepter la réalité? Faut-il vraiment casser le rêve d'Elvira
Madigan quand elle s'autorise, le temps d'une consultation, un
court moment de romanesque auquel elle demeure la seule à croire?
Lu dans:
Carole Martinez. Les roses fauves. Gallimard. Collection Blanche. 2020. 352 pages.
Carole Martinez. Les roses fauves. Gallimard. Collection Blanche. 2020. 352 pages.
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