"Au lendemain de la guerre, alors que nous nous trouvions, ma jeune épouse et moi, en Bade-Wurtemberg, à Rottweil, une ville en ruine, notre petite quatre-chevaux est tombée en panne. Pas un homme en vue dans les rues de cette grosse bourgade… Nous avons hélé une femme âgée, qui nous a indiqué un garage à un carrefour plus loin. Là, personne pour nous accueillir… Mais, sous une voiture, s’activait un jeune garçon en salopette. Il n’avait pas dix ans. Nous lui avons expliqué ce qui nous amenait, et il nous a accompagnés en poussant la voiture. Puis, au garage, il a entrepris de la réparer. Sitôt terminé, il a ouvert la porte d’un bureau et, sur un cahier, nous a fait certifier que nous lui avions versé quelques marks. Il n’a pas prononcé un mot de plus. Je lui ai alors demandé où étaient ses parents : « Gestorben » (morts), a-t-il répondu. C’est tout. Cette entrée dans la vie m’avait à l’époque frappé. Et d’autres après, qui m’ont conduit à écrire ce livre."
Marc Ferro
On peine à croire à la véracité de ce récit, s'il n'était écrit par Marc Ferro, historien et académique renommé. On tente d'imaginer ce qu'est devenu ce jeune mécanicien orphelin de guerre, sa résilience, ce qu'il a pu construire, les cauchemars qui le hantent et si , en définitive, il fut moins heureux que nous. Une patiente ayant connu la guerre compare le récent confinement et son enfance dans les caves "cela y ressemblait, la peur en moins, et moins long quand même". On ne saurait mieux résumer, et relativiser les choses. La mémoire du passé nous aide à recentrer le présent.
Lu dans:
Marc Ferro. L'Entrée dans la vie: amour, travail, famille,
révolte. Ce qui change un destin . Editions Tallandier. 2020. 250
pages. Extrait p. 9
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