"Réalité incertaine, pareille à une brume, une fumée, une bulle de savon, un nuage, un pas que la pluie efface déjà sur le sable. L'impalpable, l'invisible, Ie volatil sont l'essence même du monde."
Corinne Atlan
Une demi-heure avant la chute du jour, se laisser pénétrer par
l'impermanence des choses entre la lueur du soleil qui rougeoie et la
clarté blafarde de la lune qui entame sa veille. Deux réalités se font
face un bref instant, qui ne cohabitent guère longtemps. Au-dessus de
nous, si haut qu'on ne l'entend guère, un avion trace un trait de craie
éphémère, dont on avait presque perdu le souvenir. Qu'il paraît loin le
temps où, à la même heure, ils étaient dix et plus à s'entrecroiser dans
un éblouissant et incessant ballet. Derniers chants d'oiseaux qui se
souhaitent la bonne nuit, ici et là des bruits ménagers familiers,
quelques notes d'un piano d'apprentissage, les cloches de la collégiale
égrenant l'heure une dernière fois avant de se taire jusqu'au lever. Les
images d'une journée fériée, emportées par un cerf-volant paisible entre ciel et terre,
s'échappent une à une comme une invitation à la nuit. La sérénité qui baigne ce moment interpelle: y aurait-il donc
une vie hors du Covid-19, totalement inaccessible à cette agitation
effrénée qui s'est insinuée dans nos journées depuis trois mois,
laissant croire que toute la vie du monde lui était suspendue? Il suffit
de peu pour s'en laisser convaincre.
Lu dans:
Corinne Atlan. Petit éloge des brumes. Folio 6693. 2019. 128 pages.Extrait pp. 78-79
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