«Les progrès de la médecine seront tels que tout le monde se sentira malade.»
Aldous Huxley. Le meilleur des mondes (1931)
Il n'y a guère longtemps, on faisait appel à la médecine quand on était souffrant. Progressivement, on consulta pour éviter de devenir souffrant. Il se raconte que, confronté à la stagnation des chiffres, le président d'un trust pharmaceutique énonça à la fin des sixties que "si jusqu'à présent on avait produit des médicaments pour les malades, dorénavant on allait en produire pour les autres", les facteurs de risque s'intégreraient dorénavant dans tout bilan de santé. Actuellement, les progrès conjugués de l'imagerie médicale et du décryptage du génome humain réalisent un bilan de santé prédictif, annonçant les affections bien cachées qui n'attendent que l'occasion favorable pour s'exprimer. Comment s'étonner que la peur d'être malade se soit substituée progressivement aux symptômes qui peuplaient jadis les salles d’attente, douleurs, toux, émissions de sang, fièvres, amaigrissement, voussures inquiétantes? Dans certaines maladies génétiques on se sait malade parfois trente ou quarante ans avant que l'affection ne s'exprime. Se substitue à l'espace-temps du corps affecté d'une maladie le temps et l'espace d'une vie entière. Gérer toute cette incertitude nécessitera de repenser la relation médecin-patient, replaçant la peur de l'avenir dans une juste perspective. La médecine prédictive aura besoin de passeurs de sens.
Lu dans:
L'éden infernal. Postmodernité, posthumanité et postdémocratie. Erès. Coll. Humus. 2017. 192 pages. Extrait p.52
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