12 novembre 2018

Le goût de la vie


"C’est l’histoire d’un petit paysan du Morvan parti à l’âge de 20 ans à la guerre en 1914. C’est l’histoire de mon grand-père qui, le 11 novembre 1918, à 11 heures, entendit le clairon sonner le cessez-le-feu de l’armistice. De ses quatre années dans l’enfer de cette première boucherie industrielle mondialisée, il me reste une tranche de mémoire liée à la nourriture. Chaque Noël, mon grand-père nous préparait le brûlot qu’il partageait autrefois avec ses camarades de tranchées: quelques fruits enrobés de sucre qu’il flambait avec un peu d’eau-de-vie. Nous regardions alors les flammes bleues de la gnôle lécher les quartiers d’orange. (..)  
Après la guerre, la gamelle de soldat a servi à faire le caramel des gâteaux de riz que nous mangions en famille. Mon grand-père nous a transmis que la nourriture, c’est la vie, le goût de la vie. C’est tenir bon. Partager, parfois même avec les ennemis déclarés de la tranchée d’en-face. Nourrir les autres au péril de sa vie: pour que leurs frères d’armes trouvent un peu de réconfort autour d’un quart de soupe, des soldats sont morts en tirant la cuisine roulante entre les trous d’obus."
                        Jacky Durand


Lu dans:
Papilles de la Nation. L'édito de Jacky Durand dans Libération.

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