"Smita s'éveille avec un sentiment étrange, une urgence douce, un papillon inédit dans le ventre.
Aujourd'hui est une journée dont elle se souviendra toute sa vie.
Aujourd'hui, sa fille va entrer à l'école."
Laetitia Colombani
Premier matin de classe, la petite école communale bruisse de partout,
repeuplée soudain de ses élèves multicolores. Je relis mentalement la
superbe description du roman La Tresse où Smita l'Intouchable fuit, la
petite main de sa fille Lalita dans la sienne, à travers la campagne
endormie. Elle n’a pas le temps de parler, d’expliquer à sa fille que ce
moment, "elle s’en souviendra toute sa vie comme de celui où elle a
choisi, infléchi la ligne de leurs destins. Elles courent sans bruit,
pour ne pas être vues ni entendues. Lorsque ils se réveilleront, elles
seront loin déjà." Donner une école à son enfant pour lui éviter de
nettoyer des chiottes toute sa vie. Des Smita, j'en ai reconnues
quelques-unes ce matin, soucieuses de léguer au moins deux choses à
leurs gosses: la santé et un diplôme. Échapper à la fatalité des
"ménages" égrenés tout au long de la semaine, avoir la maîtrise de deux
ou trois langues, conduire un jour sa propre voiture, s'acheter un
appartement. J'éprouve une tendresse particulière pour ces mamans
modestes qui ce matin "ont un papillon inédit dans le ventre" au moment
de lâcher la main de leur petit(e) pour un avenir meilleur que le leur.
Étudier est un privilège.
Lu dans:
Laetita Colombani. La tresse. Grasset. 2017. 224 pages. Extrait p. 135 (Kindle)
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