"Les faibles qu’elle devrait protéger, accompagner, elle leur tourne le dos, comme ces vieux éléphants que le troupeau laisse derrière lui, les condamnant à une mort solitaire. Dans un livre pour enfants sur les animaux, elle a lu un jour cette phrase : « Les carnivores sont utiles à la nature, car ils dévorent les faibles et les malades. » Sa fille s’est mise à pleurer. Sarah l’a consolée, en lui disant que les humains n’obéissaient pas à cette loi. Elle se croyait du bon côté de la barrière, dans un monde civilisé. Elle se trompait."
Laetitia Colombani
Est-on jamais assuré de se trouver du bon côté de la barrière? En classe
préparatoire d’un grand lycée parisien, l’écrivaine noire américaine
Zora Neale Hurston écoute l’un de ses brillants professeurs assurer que «
les classes sociales les plus défavorisées sont généralement les
femmes, les jeunes et les Noirs »… Appartenant aux trois groupes, elle
mesure soudain que sous la bannière Liberté, égalité, fraternité la
frontière ténue de l'exclusion la frôle et qu'il importe de ne pas
saigner quand on nage avec les requins. Un parcours d'athlète. Comment
oublier que dès notre naissance, nous sommes le fruit de la course
victorieuse d'un spermatozoïde plus résistant, plus agile, plus malin
que les millions d'autres du même éjaculat? Que le vieil Akéla qui rate
sa proie est condamné à quitter définitivement la protection de la meute
pour une existence solitaire. Que nous nous amusions comme des fous à
jouer chaise musicale excluant celui qui ne trouvait pas de siège? Notre
enfance et ses récits, ses jeux, ses héros, ses squaws, ses scalps, ses
sprints effrénés nous prépare-t-elle à construire une société solidaire
ou une conquête de l'Ouest carnivore? Il est raconté qu'en
transhumance, les troupeaux où on conserve les vieilles vaches à
l'arrière gardent une cohésion et un rythme qui les fait avancer plus
rapidement que ceux où elles sont éliminées. Ce qui est bon pour les
(b)ovidés et les caprins ne serait-il pas d'application pour l'homme?
Lu dans:
Laetita Colombani. La tresse. Grasset. 2017. 224 pages. Extrait p.188 (Kindle)
Valérie Cadignan. Fin de règne. Anne-Solitude de France. Présence africaine. 2017. 110 pages.
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