"... leur vie ne sera pas sauvée
mais qu'elle reste dans nos mémoires
pour vous hommes femmes
blottis écrasés
(..)
Vous avez été
même trop vite
même pas assez
vous avez été."
Laurent Gaudé
Ils rasent les murs faute de se raser encore eux-mêmes, esseulés pour la
plupart, pas trop propres, pas trop sains. Pas nécessairement
sans-abri, mais sans futur, dans des appartements sans ascenseur qu'ils
ne quittent dès lors plus guère. L'hôpital la semaine dernière pour une
nonagénaire, dernière issue, les jambes en plaies, le souffle court,
jaunasse dans les yeux. Sa petite coiffeuse sicilienne et son compagnon
m'ont aidé à l'y amener. "C'est dans cet état-là que vous nous
l'amenez!". Ben oui, dans cet état-là, ce fut son choix: en bonne santé
croyez-moi elle ne serait pas venue... La vie tourne parfois, elle
racontait la Libération mieux que je ne l'entendis jamais, "on était
tous fous, fous vous entendez. J'ai suivi en Toscane un riche Italien
qui m'a épousée peu de temps après une soirée de délire. On vivait en
ces temps-là." Rien ne dure et l'Italie n'eut qu'un temps, mais je
présume que ses jambes étaient belles à l'époque, et le reste pareil.
Elle est morte ce weekend, et la raconter permet au moins une chose: lui
redire qu'elle a été.
Lu dans:
Laurent Gaudé. De sang et de lumière. Actes Sud. 2017. 110 pages. Extrait pp.15-16
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