"Pour les chats, j'étais au courant. Le mois dernier, j'avais dû me débarrasser du mien, un de gouttière qui avait eu la mauvaise idée de naître blanc, taché de noir. C'est vrai que la surpopulation des chats devenait insupportable, et que d'après ce que les scientifiques de l'état national disaient, il valait mieux garder les bruns. Que des bruns. (..) Avoir eu un chien ou un chat non conforme, à quelque époque que ce soit, est un délit. Le speaker a même ajouté: une injure à l'état national"
Frank Pavloff
Sait on assez où risquent de nous mener collectivement les petites
lâchetés de chacun d'entre nous ? Charlie et son copain vivent à
une époque trouble : la montée de l'état brun. On leur demande
d'abord de se débarrasser de leurs chiens et chats s'ils ne sont
pas bruns. Il se plient. Et l'escalade se construit avec le
secours de ces hommes qui pensent que de petites compromissions ne sont
pas graves : «
Par mesure de précaution, on avait pris l’habitude de rajouter
brun ou brune à la fin des phrases ou après les mots. Au début,
demander un pastis brun, ça nous avait fait drôle, le langage est
fait pour évoluer et il n'est pas plus
étrange de donner dans le brun, que de rajouter putain con à tout
bout de champ, comme on le fait chez nous. Au moins, on était
bien vus et on était tranquilles.» Ainsi, ils cherchent à
s'adapter progressivement à l'horreur de cet état brun, la
normalité et le regard d'autrui étant plus importants pour eux que
l'exercice de leur raison propre. De compromissions en
compromissions, la dictature se met en place. Tout cela est
heureusement pure fiction, et dans le passé de surcroît. Il est
d'ailleurs écrit "roman" sur la couverture, c'est drôlement rassurant.
Lu dans:
Franck Pavloff. Matin brun. Albin Michel. 1998. Nouvelle édition avec les illustrations du célèbre artiste de Street Art C215, 2015.
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