"C'est à toi que je parle, à toi dans le miroir. Tu vas tenir longtemps? Longtemps? Longtemps? Longtemps?" B. Deprez.
Il n'est sans doute pas innocent que Bérengère Deprez termine son "Livre
des deuils" par une allusion à l'éternité de l'image dans un miroir.
Allusion subliminale au mythe de Narcisse qui meurt de vouloir
embrasser, dans l'eau stagnante d'un lac, le seul visage qui soit digne
de lui, non parce que ce visage est le sien (Narcisse l'ignore), mais
parce que, à la différence de son propre visage, son reflet lui semble
immuable. Plus encore qu'un déni de l'altérité, le narcissisme est un
refus de l'altération. Le véritable ennemi de Narcisse n'est pas
l'autre, mais le temps. Fils d'un fleuve (Céphise) et de la nymphe
(Leiriopé), Narcisse est deux fois l'enfant de l'instable, un enfant de
passage qui entend suspendre, au péril de sa vie, le fil du temps. Il
devient par là notre contemporain, dans une époque qui invite par mille
leurres, non pas à s'aimer soi-même mais, tout au contraire, comme
l'analyse Clément Rosset, au moment de choisir entre soi-même et son
double, de donner la préférence à son image. Les marches du festival de
Cannes, les visages lisses et les cheveux d'ébène des perrons du
pouvoir, les clichés chromés des magazines tendance ou les croisières
anti-âges nous le rappellent chaque jour. Accepter que la vie s'écoule
sur nos visages dans les ravines creusées par les soucis, les nuits sans
sommeil et le temps consacré à d'autres que soi n'est pas du Narcisse.
Lu dans:
Bérengère Deprez. Le livre des deuils. 2004. Ed. Luce Wilquin. 216 pages. Extrait page 213.
Clément Rosset. Impressions fugitives. L'ombre, le reflet, l'écho. 2004. Collection « Paradoxe », 80 pages
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