"Les journaux dits de qualité coûtent leur prix plus l'effort pour les lire. "
Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde
31 mai 2012
La qualité a un prix
La sagesse des siamois
"Une opération réussie au Children Hospital de Dallas, en octobre 2003, avait consisté à séparer Ahmed et Mohamed, deux siamois d'origine égyptienne soudés par le crâne. Les médecins avaient canalisé la veine sagittale, fragile frontière entre leurs deux cerveaux. Les nouveaux-nés pourraient bientôt se regarder en face, les yeux dans les yeux comme dans un miroir. De quoi seraient faites leurs pensées?- Sans doute la liberté commence-t-elle lorsque certains liens sont coupés. Mais à voir l'enchevêtrement des veines qui les unissaient, une centaine pas moins, on ne pouvait imaginer que le fil soit vraiment rompu. Je pariai que la première pensée de l'un serait pour l'autre."
De quel siamois devons-nous accepter de nous séparer pour vivre?
Lu dans:
Eric Fottorino. Mon tour du Monde. NRF Gallimard. 2012. 545 pages. Extrait p.296
30 mai 2012
Des larmes comme cris
"Je réalisai que chaque lettre du mot "crier" était contenue dans le verbe "écrire". Ce fut une révélation: écrire, c'était crier en silence, sans un bruit, pleurer de l'intérieur comme pleurent les grottes."E. Fottorino
Lu dans:
Eric Fottorino. Mon tour du Monde. NRF Gallimard. 2012. 545 pages. Extrait p.386
Eric Fottorino. Mon tour du Monde. NRF Gallimard. 2012. 545 pages. Extrait p.386
28 mai 2012
Toute souffrance est unique
"Les familles heureuses se ressemblent toutes.
Les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon. "
Tolstoï. Anna Karénine.
27 mai 2012
Sagesse de Confucius
"Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui voulaient faire la même chose, ceux qui voulaient faire le contraire, et l'immense majorité de ceux qui ne voulaient rien faire."
Confucius.
Lu dans:
Eric Fottorino. Mon tour du Monde. NRF Gallimard. 2012. 545 pages. Extrait p.538
Eric Fottorino. Mon tour du Monde. NRF Gallimard. 2012. 545 pages. Extrait p.538
Langues de feu
« Voir quelqu’un qui reprend possession de soi est bouleversant. Je rêve de cela pour mes patients : qu’ils deviennent maîtres de leur histoire, c’est-à-dire de leur univers intérieur. »
J. Harpman
J'eus la chance, lors d'un voyage lointain, d'observer en retrait
une scène de la vie quotidienne qui m'habite encore. Assise à même
le trottoir, une diseuse de bonne aventure a pris la main d'une
jeune fille dans la sienne et en scrute la ligne de vie. Sa
gestuelle vaut paroles qui invitent à sortir de soi-même, à se
déployer, à courir, à voler. A troquer les humeurs acides pour les
senteurs d'une vie possible, aujourd’hui même. Arrivée à la fin de
son récit, la vieille chiromancienne lui enfouit au creux de la
paume un minuscule papier roulé avec ce vers de Corneille: "Je
cesse d'espérer et commence de vivre." Une réécriture des "langues
de feu" bibliques, invitation - comme le disait joliment Jacqueline - à redevenir maître de son histoire.
Lu dans:
Adrienne NIZET. Au revoir, Madame Harpman. Le Soir 25 mai 2012
26 mai 2012
24 mai 2012
Sagesse des visages ravinés
"C'est à toi que je parle, à toi dans le miroir. Tu vas tenir longtemps? Longtemps? Longtemps? Longtemps?" B. Deprez.
Il n'est sans doute pas innocent que Bérengère Deprez termine son "Livre
des deuils" par une allusion à l'éternité de l'image dans un miroir.
Allusion subliminale au mythe de Narcisse qui meurt de vouloir
embrasser, dans l'eau stagnante d'un lac, le seul visage qui soit digne
de lui, non parce que ce visage est le sien (Narcisse l'ignore), mais
parce que, à la différence de son propre visage, son reflet lui semble
immuable. Plus encore qu'un déni de l'altérité, le narcissisme est un
refus de l'altération. Le véritable ennemi de Narcisse n'est pas
l'autre, mais le temps. Fils d'un fleuve (Céphise) et de la nymphe
(Leiriopé), Narcisse est deux fois l'enfant de l'instable, un enfant de
passage qui entend suspendre, au péril de sa vie, le fil du temps. Il
devient par là notre contemporain, dans une époque qui invite par mille
leurres, non pas à s'aimer soi-même mais, tout au contraire, comme
l'analyse Clément Rosset, au moment de choisir entre soi-même et son
double, de donner la préférence à son image. Les marches du festival de
Cannes, les visages lisses et les cheveux d'ébène des perrons du
pouvoir, les clichés chromés des magazines tendance ou les croisières
anti-âges nous le rappellent chaque jour. Accepter que la vie s'écoule
sur nos visages dans les ravines creusées par les soucis, les nuits sans
sommeil et le temps consacré à d'autres que soi n'est pas du Narcisse.
Lu dans:
Bérengère Deprez. Le livre des deuils. 2004. Ed. Luce Wilquin. 216 pages. Extrait page 213.
Clément Rosset. Impressions fugitives. L'ombre, le reflet, l'écho. 2004. Collection « Paradoxe », 80 pages
23 mai 2012
Ce passé dont on ne guérit jamais
"Il y aurait toujours cette neige dans tous les soleils, cette fumée dans tous les printemps."
Jorge Semprun
Revenu de Buchenwald, Jorge Semprun ne trouvera la force d'écrire
la neige des collines qui surplombaient les camps et la fumée du
crématoire qu'après de longues et douloureuses années. L'écriture
d'un homme libre n'efface pas la prison de la mémoire. A
l'évocation obsédante des fumées dans le ciel lui répond comme un
écho, mille ans plus tôt, la nostalgie de Sarashina :
"Lorsque vous apercevrez
la fumée qui remonte en flottant
la vallée de la colline de Toribe (*)
alors vous me comprendrez
moi qui paraissais irréelle
même pendant ma vie."
(*) Toribe, lieu d'incinération des morts
Lu dans:
Eric Fottorino. Mon tour du Monde. NRF Gallimard. 2012. 545 pages. Extrait p.265
Jacques Roubaud. Mono No Aware, Le sentiment des choses. Gallimard. NRF. 1970. Extrait p.228.
Sarashina (Japon - époque de Heian - 1008). Sarashina Nikki, carnets dans lequel elle raconte sa vie et ses voyages de l'âge de 13 ans à 52 ans
Amour
"Et tout à coup nous fûmes deux,
non,
moins que deux,
c'était à peine quelques secondes de nous
et déjà il me semblait impossible de repartir sans toi,
ton odeur mon odeur,
je ne savais plus si mes mains ou les tiennes.
Et je dis enfin dans un souffle:
- Ah ! pourquoi ne sommes-nous pas des âmes..."
Entre "Amour", de Haneke (avec un émouvant couple Huppert/Trintignant)
et l'exergue du Livre des deuils, cherchez la différence: une passion de
vingt ans, un attachement complice de vieux amants. Un même souffle.
Lu dans:
Bérengère Deprez. Le livre des deuils. 2004. Ed. Luce Wilquin. 216 pages. Extrait page 5.
22 mai 2012
Instants de Borges
"Si je pouvais vivre une nouvelle fois ma vie
j'essaierais d'y commettre plus d'erreurs, (..)
Je m'exposerais à plus de risques,
je ferais plus de voyages,
je contemplerais plus de crépuscules,
j'escaladerais plus de montagnes (..)
Et je jouerais davantage avec les enfants,
si j'avais encore une vie devant moi."
Instants. J L Borges
On a dit de ces vers qu'ils furent les derniers de Jorge Luis Borges,
aveugle à la fin de sa vie. On en a aussi contesté l'origine, mais leur
charme opère encore.
Lu dans:
Eric Fottorino. Mon tour du Monde. NRF Gallimard. 2012. 545 pages. Extrait p.248
20 mai 2012
La sortie du bois
"Le jardin de mon enfance était un théâtre ludique me donnant plein de possibilités de m'exprimer. Un massif de buissons était l'Amazone. Quand on montait dans les arbres, on était à bord d'un trois-mâts en pleine tempête. Les moutons achetés pour tondre l'herbe ont été pour nous des moutons et des dinosaures."
D. Decoin
En attendant l'orage, la journée de ce dimanche a permis à nos
petits-enfants de mettre en pratique l'écriture de Didier Decoin. Voyant
sortir les deux cousins aînés de leur "sentier secret" avec la
dépouille d'un monstre, nous nous sommes demandés jusqu'à quel âge un
massif de buissons pouvait devenir l'Amazone. Ainsi que je le lisais
hier, tout parcours scolaire devrait débuter par une évaluation de ce
qu'on risque de faire perdre - ou oublier - en instruisant. Beau débat.
Lu dans:
Didier Decoin. Je vois des jardins partout. JC Lattès; 2012. 230 pages
L'un c'est l'autre
"Il n'est pas nécessaire d'avoir une raison pour avoir peur."
E. Ajar
La peur, aussi imprévisible qu'une migraine, nous rend égaux: qui de nous ne l'a connue, sournoise, implacable, responsable de cent conduites d'évitement aussi pathétiques les unes que les autres.
Anecdote amusante, la citation d'Emile Ajar dans l'inoubliable
roman "La vie devant soi" mit une jeune journaliste sur la piste
d'une supercherie restée célèbre, quand elle cite à Romain Gary
une phrase similaire dans un de ses précédents ouvrages "La Tête
coupable": "... et depuis quand un homme a-t-il besoin d'une
raison pour avoir peur?" Cas unique dans l’histoire du prix
Goncourt, Romain Gary le reçut deux fois, la première sous son nom
de plume habituel et la seconde, en 1975, sous l’identité
d’emprunt d’Émile Ajar. Lassé de se sentir considéré comme un
écrivain du passé ("Au-delà de cette limite votre ticket n'est
plus valable" - écrit en 1975), Romain Gary avait créé de toutes
pièces le personnage d'Émile Ajar sans jamais en révéler de son
vivant l'identité réelle. C'est juste avant son suicide en 1980
qu'il rédige "Vie et mort d'Emile Ajar", où il révèle toute la
supercherie, concluant «Je me suis bien amusé. Au revoir et
merci.» Quelques semaines auparavant, ironie cruelle, lors d'une
émission littéraire en vue, la critique du magazine Lire, après
avoir rageusement démoli l'oeuvre de Gary s'était exclamée "Ah
Ajar, c'est quand même autre chose."
Lu dans:
Romain Gary. Vie et mort d'Emile Ajar. NRF. Gallimard. 1981. 43 pages
19 mai 2012
17 mai 2012
Eternellement mortels
"Des mondes se sont ouverts et s'ouvrent sans cesse à nous, mondes qui appartiennent aussi à la nature, mais qui ne sont pas visibles pour tous, qui ne le sont peut-être vraiment que pour les enfants, les fous, les primitifs. Je pense par exemple au royaume de ceux qui ne sont pas nés ou qui sont déjà morts, au royaume de ce qui peut venir, de ce qui aspire à venir, mais qui ne viendra pas nécessairement, un monde intermédiaire, un entre-monde."
Paul Klee
Perspectives fascinantes. Imaginer durant quelques minutes les millions
d'individus qui auraient pu légitimement naître à ma place , mes frères
et soeurs, quand on décompte que la concentration du sperme paternel est
de 40 à 200 millions par ml et qu'un éjaculat moyen , bon an mal an,
est de 2 à 5 ml. La femme, ma mère, quant à elle aura libéré en moyenne
500 ovules durant sa vie reproductrice. Cela fait une belle loterie dont
on s'étonne d'être sorti vivant. Selon les jours et notre nature
profonde, on en sort profondément modeste ou vaniteux. Pour ajouter à ma
perplexité, il me plaît à décompter les quelques 2,5 millions d'années
séparant ma naissance de celle du premier représentant humain sur terre
(l'Homo habilis) , qui fabriquait ses premiers outils en pierre taillée,
avait une vie sociale et était omnivore comme moi. Je peuple ensuite ma
planète de tous ceux qui l'ont habitée, quelques mètres carrés, un
jardin qu'ils se sont attribués et dont ils ont jalousement défendu
l'accès, les silex et l'or qu'ils ont accumulés, les rêves qu'ils firent
pour la transformer, et puis sont morts. Pfft, plus de jardin, plus de
silex, plus de rêves. J'entends enfin comme une sourde rumeur, un
murmure qui enfle, de tous ceux qui se préparent à naître et poussent
déjà vers l'avant mes propres enfants et petits-enfants - "les passagers
sont priés de ne pas bloquer les accès de la rame et de se diriger
durant leur trajet vers la sortie". Ce fut une bonne idée de ne pas
proclamer l'immortalité.
Lu dans:
Paul Klee, Souvenirs, cité par Jean-François Lyotard, Discours, Figure, Klincksieck, 1971, p. 224.
Par-delà les clichés
"N'attendons pas de mourir pour ressusciter."
J-F Grégoire
L'Ascension fut pour moi, de longue date, une des plus agréables
fêtes de l'année: les lilas en fleurs, les filles sortant leurs
jolies robes légères, deux jours de congé pour le prix d'un,
suivis d'un long weekend férié la semaine suivante, l'absence de
longue cérémonie religieuse à affronter comme à Noël ou à Pâques,
la possibilité d'un barbecue si affinité, et surtout une large
visibilité sur les grandes vacances toutes proches. Quant à sa
signification religieuse, floue pour le potache que j'étais, elle
se raccrochait aux illustrations à la pointe fine de mon livre
d'Histoire Sainte, vaguement apparentée à ma croyance initiale en
Saint Nicolas si ce n'est que si ce dernier descendait (par la
cheminée), Jésus, lui, montait.
Et si l'histoire de cette ascension aux cieux était plus simple,
nous rappelant - loin de l'imagerie saint-sulpicienne - qu'à tout
moment il nous est donné de nous é-lever, nous arrachant de la
poussière du sol (l'adama hébreux, l'Adam) pour retourner à la
poussière lumineuse d'un rayon de soleil entre les arbres. Paul
Nothomb fait remarquer que, dans le texte de la Genèse, ce sont
les animaux qui sont faits de terre et non pas l'homme. La
différence entre la poussière et la terre, est que cette dernière
est compacte et obscure alors que la poussière laisse passer la
lumière: l'homme est formé de poussière, de lumière et de souffle,
un "souffle qui parle" dont l'existence ne serait qu'un long et
progressif passage de la terre à la lumière. Que nous soit
rappelée une fois par an l'occasion possible de nous élever
au-dessus d'un quotidien pesant, de l'assoupissement d'une vie routinière,
d'une vraie re-création, n'est plus de la simple histoire sainte
pour les enfants, mais une thérapie pour les humains fatigués et
déboussolés que nous sommes parfois devenus. Lever la voile vers
un Nouveau Monde, apporter une parole de légèreté dans une réalité
pesante, se réveiller et quitter le palais de la Belle au Bois
dormant s'offre à chacun de nous, chaque jour. C'est tout le bien qu'on se souhaitera en ce jour de l'Ascension.
Lu dans:
Paul Nothomb. L'imagination captive : Essai sur l'homme immortel. Ed. de La Différence,1994.
16 mai 2012
"Là où le vin entre, le secret sort."
Sagesse du vigneron
Eric Fottorino, ancien directeur du Monde et grand reporter raconte les
mille et uns détours de la collecte d'infos, les accueils simples et
réservés au départ, "devenant rapidement familiers, la chaleur montait
avec le rouge qui descendait, les langues se déliaient: là où le vin
entre, le secret sort."
Lu dans:
Eric Fottorino. Mon tour du Monde. NRF Gallimard. 2012. 545 pages. Extrait p.106
Eric Fottorino. Mon tour du Monde. NRF Gallimard. 2012. 545 pages. Extrait p.106
14 mai 2012
Île, ma soeur
"La beauté des îles tient à leur solitude, au rayonnement de leur contingence.
Avec elle devient visible le miracle de l’existence, bordée par le néant."
C. Millot
Longtemps j'ai cru que les îles nous faisaient rêver parce qu'elles
étaient tout ce que nous n'étions pas, et avaient tout ce que nous
n'avions pas. Ce soir je découvre que les îles nous font rêver parce
qu'elles sont nos soeurs.
Lu dans:
Cathérine Millot. O Solitude. Gallimard. Nrf. 2011. 167 pages. Extrait p.21
13 mai 2012
Ma solitude
"La solitude la plus parfaite n'est-elle pas celle où on est soi-même absent?"
Cathérine Millot
La phrase s'impose à mon souvenir en entendant une patiente, jeune,
profession en vue, jolie, quadrilingue me confier qu'elle est absente
d'elle-même depuis une semaine. Une rupture amoureuse, quelques
insomnies, un accident de roulage, un clash au bureau. Où est la poule,
où est l'oeuf, quelle importance? Seule en groupe.
Lu dans:
Cathérine Millot. O Solitude. Gallimard. Nrf. 2011. 167 pages. Extrait p.159
12 mai 2012
Le saule protecteur
"Chez mes parents, il y avait un saule pleureur, et un hamac était tendu entre son tronc et le tronc de l'arbre voisin. Je me cachais derrière le rideau de branches et de feuilles du saule pleureur, j'étais complètement isolé du monde et, là, je lisais. Particulièrement, toute la recherche du "Temps perdu". J'étais tellement absorbé que je ne suis même pas allé voir les résultats de mon bac."
Eric-Emmanuel Schmitt
Cette magie - douceur de l'air, végétation enrobante, retour en soi, maîtrise du temps - sera-ce pour ce weekend ? On se le souhaite.
11 mai 2012
La bonne nature
"Contrairement à ce qu'avance Jean Jacques Rousseau, les hommes ne naissent ni libres ni égaux. Le rôle du politique est de déjouer la nature."
Glané en voiture sur les ondes, lors d'un débat post-élection présidentielle française.
09 mai 2012
Inattendu
"Je suis comme l'écureuil qui cherche où il a caché ses provisions et qui déterre tant de choses en définitive."
JP Groux
Lu dans:
Jean-Paul Goux. Le Séjour à Chenecé . Actes Sud. 2012.
Jean-Paul Goux. Le Séjour à Chenecé . Actes Sud. 2012.
07 mai 2012
Un printemps précieux
Il reviendra
ce temps je le sais
mais pour moi qui ne suis plus rien
qu'une chose précaire
comme ce printemps m'est précieux
Tsurayuki
Lu dans :
Jacques Roubaud. Mono No Aware, le sentiment des choses. Gallimard. NRF. 1970. Extrait p.230
06 mai 2012
Sagesse de Ki no Tsurayuki
le reflet de la lune
qui habite l'eau
au creux d'une main
réel? irréel?
j'ai été cela au monde
l'eau s'égouttant de mes mains
trouble la clarté
du puits de la montagne,
sans être lassés l'un de l'autre
il a pourtant fallu se séparer
Dernier poème de Ki no Tsurayuki (Japon, 872-945)
Ecrits à la première personne, ces courts poèmes me parlent
particulièrement en cette fin de semaine. Les questions que se pose
l'homme transcendent les époques et les continents. On y revient
inlassablement quand s'apaise le bruit de fond de notre surinformation
permanente.
Lu dans :
Jacques Roubaud. Mono No Aware, le sentiment des choses. Gallimard. NRF. 1970. Extrait p.232
05 mai 2012
Eloge de la gracilité
"La grosse patte du lion ne peut capturer le papillon. Face à la mort, aux pouvoirs, à tout ce qui enferme, sclérose ou pétrifie, sois un papillon."
H. Gougaud
Lu dans:
Henri Gougaud. Le rire de la grenouille. CarnetsNord. 2008. 184 pages. Extrait p.34
04 mai 2012
Eloge du choix
"Déjeuner avec J.N. Il me fait part de sa perplexité: devrait-il vendre l'appartement qu'il possède sur les hauteurs de Nice, ce qui lui permettrait d'en acquérir un à Paris où il n'a pu que louer un minuscule studio dans un quartier qu'il exècre? « Pourquoi pas ? lui dis-je, puisque tu ne vas presque jamais à Nice et que tu vis à Paris. - Oui, mais d'un côté quand je suis à Nice, j'y suis bien, c'est là que je travaille le mieux. - Alors garde-le et arrange-toi pour y aller plus souvent. - Oui, mais d'un autre côté, c'est à Paris que j'ai tous mes amis, à Nice je ne connais personne. » Et cela continue comme ça un bon moment: « d'un côté, d'un autre côté». Et puis, subitement, J. N. me fixe intensément comme si j'étais son sauveur et me déclare avec un regard éperdu de reconnaissance: «Tu as raison. Grâce à toi, j'ai pris ma décision: ou bien je vends ou bien je ne vends pas. »
J.-B. Pontalis
Lu dans:
J.-B. Pontalis. En marge des jours. NRF Gallimard. 2002.120 pages. Extrait p. 53
03 mai 2012
Le retour du tilleul
"Le tilleul dans mon jardin, dans le Hainaut. En fait, je crois que j'ai acheté la maison qu'il y avait autour parce que je suis tombé amoureux de cet arbre. Ça arrive, les coups de foudre avec un arbre ! Je m'assois sous lui, je m'appuie contre lui et je rêve, je médite, j'écoute de la musique - mais celle de la nature: les branches, les feuilles, les oiseaux ... C'est comme si ce tilleul était un point qui me reliait aussi bien à la terre qu'au ciel. D'ailleurs, les tilleuls sont comme ça: la surface des racines est aussi importante que la surface des branches. Le tilleul est un arbre miroir. Il se nourrit autant de ciel que de terre."
Eric-Emmanuel Schmitt
Encore quelque fois dormir et il y aura à nouveau du tilleul dans l'air. On l'attend chaque année, avec les abeilles. On a beau dire, mais cela rassure.
02 mai 2012
Un être en questions
"Une question demeure: à quoi riment nos vies?"
F. Weyergans
Reconstruire plus haut encore le One World Trade Center, plus grand
l'Airbus A380, accéder à n'importe qui, n'importe quand, n'importe où;
fabriquer les mille objets quotidiens qui transforment notre existence,
gagner chaque année trois mois d'espérance de vie, transformer en mines à
ciel ouvert les astéroïdes qui nous entourent. L'enfant naïf qui
découvrait que le roi était nu pourrait nous poser la question: mais
pour aller où ? De tout ce que nous sommes capables de fabriquer, de
construire, d'inventer, que comptons-nous faire et où nous mène pareille
accumulation à l'infini de richesses et de savoirs? A rien peut-être,
et ce pourrait être le drame originel de l'homme, né sous le signe de la
transgression, de la conquête et du recul des frontières, tous les
contes de la terre sont là pour nous le rappeler. Ils nous rappellent
aussi que "dans un buisson où ne fleurissent que des questions, l'oiseau
ne chante plus." Promis, je ne me poserai plus de questions, durant un
jour.
Lu dans:
Royal Romance, de François Weyergans, Julliard, 207 pages.
Henri Gougaud. Le rire de la grenouille. CarnetsNord. 2008. 184 pages.
01 mai 2012
Solidarités multiples
"Il décide de mettre une croix sur la tombe qu'il a creusée pour l'oiseau, mais la bonne l'en empêche, lui expliquant que ce n'est qu'une bête, un être bien inférieur à l'homme. "Le pleurer est déjà un péché", lui dit-elle. Le fils du concierge s'en mêle et ajoute qu'il n'est pas question de mettre une croix sur cette tombe, parce que le canari était juif, "comme toi" précise-t-il.
A. Desarthe
A méditer en ce premier mai étrange qui voit le muguet défiler défiant
la rose, pendant que s'entend la clameur du lys. Jeanne, Jaurès et
Victor Hugo seront appelés à la rescousse sans trop savoir ce qu'ils
auraient pensé de ces parrainages posthumes.
Lu dans :
Agnès Desarthe. Le remplaçant. Editions de l'Olivier 2009. Points . 76 pages. Extrait p.68
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