30 mai 2010

Sagesse de l'envol

"C’est mal récompenser un maître que de rester toujours son disciple."
F. Nietzsche

Lu dans
Nietzsche F. Ainsi parlait Zarathoustra. Aubier Montaigne. 1968, p. 175.

29 mai 2010

Des mots et des maux

"Peindre la vie avec le pinceau des mots."
Jean Loup Chiflet

La réflexion de Nancy Huston dont je termine le livre "L'espèce fabulatrice" me poursuit en écoutant le grammairien Jean Loup Chiflet sur France Inter dans la voiture ce matin. Peindre avec des mots, comme d'autres décrivent la réalité avec des couleurs, des reliefs ou des sons, donne de la chair aux concepts, aux sentiments, aux événements d'une existence: l'histoire telle qu'on la raconte devient la réalité, notre réalité.

Le Ring est chargé ce weekend, malgré l'heure matinale, et je révise mentalement le contenu de l'atelier que je dois modérer sur le thème "Le CARE dans le monde des soins de santé: un lieu privilégié pour le développement de la liberté ontologique et de la responsabilisation capacitante." L'orateur invité est prolixe, séduisant, érudit possédant une triple formation d'économiste, d'expert en santé publique et de philosophe. Mots, phrases et concepts se bousculent avec brio, fleurs de feu d'artifice qu'il me revient de rassembler en final en termes simples et sur lesquels les participants sont appelés à réagir ("un autre monde existe..." voir Eluard cité hier soir).
Je rentre chez moi au terme de l'exercice et découvre un appel angoissé au répondeur, auquel je donne suite. Un patient y évoque son horizon bouché, sa fatigue d'être, une chute, une solitude. Les mots ici sont pauvres, entrecoupés de longs silences, de quelques pleurs. Mots, maux. Je bénis cette confrontation brutale entre une théorie académique séduisante et une réalité en quête de réponses simples avec des mots de tous les jours, nous contraignant quotidiennement à ne pas tant chercher des explications, mais plutôt des issues.

Jean Loup Chiflet. France Inter 29 mai 2010. Neuf mots et expressions à foutre à la poubelle. Points 2010.

28 mai 2010

Utopie

" Il y a un autre monde mais il est dans celui-ci."
Paul Eluard
Dictionnaire abrégé du surréalisme

27 mai 2010

L'amour la vie

"L'amour l'argent
la vie est un détergent
qui nettoie les gens."
A Souchon


cette vie qui ne vaut rien, mais ... rien ne vaut la vie. Je n'ai capté que les trois dernières notes de la délicieuse ritournelle d'Alain Souchon, invité de l'Oreille en coin sur France Inter ce matin, elles m'ont mises de bonne humeur.

26 mai 2010

Plus tard signifie beaucoup

"C'est quoi plus tard?
... quelque chose qui arrive
ou un projet qui nous anime
Est-ce "on verra bien" ou "on s'y voit bien"?
Plus tard peut signifier beaucoup."
Sagesse des publicitaires
Le groupe Dexia et ses publicitaires auraient-il lu Nancy Huston: "On ne naît pas soi, on le devient". Dans une longue réflexion sur l'"espèce fabulatrice" que constitue pour elle l'être humain, elle écrit de superbes lignes sur l'éternelle construction du soi, péniblement élaborée, toujours à reconfirmer au départ d'un récit construit et de projets qui finissent par constituer notre identité. Tous nous concevons des "romans" pour racontre notre séjour sur terre. Mieux, nous sommes ces romans. Moi, je, est la façon de (conce)voir l'ensemble de mes expériences."

Lu dans :
Nancy Huston. L'espèce fabulatrice. Babel. Actes Sud. 2008. 200 pages. Extrait p.25, p.27
Publicité Dexia. 22 mai 2010

24 mai 2010

Eloge de la lenteur

"Maison bâtie en 948, rebâtie en 1787."
Sagesse du Camino
La maison fait partie d'un hameau qui en compte quatre, Harambeltz, et porte cette inscription modeste. Je reste rêveur, ainsi que mes amis Suzanne et André qui rapportent l'anecdote dans leur délicieux récit vers Compostelle. Poser une pierre sur une autre, étançonner, couvrir de bardeaux pouvaient donc se concevoir à une époque dans le but d'abriter l'existence de dizaines de générations successives, et sans croissance. Lequel de nos projets dépasse actuellement une décennie? L'inquiétude envahit les marchés quand la croissance ralentit autour du pourcent. Le Temps, dit-on, s'est accéléré... ou courons-nous éperdument dans un de ces tonneaux sur roulettes dont les enfants apprécient le caractère ludique? Dans son récent opus où il poursuit sa quête sur le Temps, Jean Louis Servan Schreiber s'interroge sur la fragmentation accrue de nos journées et de nos heures, qui nous amène à fonctionner par mini-activités qui se succèdent, s’entrecroisent et se chevauchent. A part d’occasionnelles et bien trop longues réunions, l’unité de tâche courante est constituée d’appels téléphoniques, de rédaction de mails, de lecture de courts textes ou de brefs échanges de couloirs. Apprendre qu'un cadre en activité est couramment interrompu 70 à 80 fois par jour et ne s’en rend même pas compte ne rassure guère . La vraie richesse sera-t-elle considérée demain comme la capacité de pouvoir bénéficier de plages de tranquillité et de silence, nécessaires à la réflexion?

Lu dans:
Suzanne Dubois et André Linard. Compostelle. La mort d'un mythe? Couleur Livres. 2010. 130 pages. Extrait p. 99
JL Servan Schreiber. Trop vite. Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme. Ed Albin Michel. 2010. 198 pages.

La chair immatérielle du soleil

"... le jaune est la couleur de l'éternité, la chair immatérielle du soleil."
S. Germain

Vermeer, fasciné par un petit pan de mur jaune avec auvent dans "Vue de Delft", ou par le pan de voile jaune de sa "Jeune fille à la perle", ne souhaitait-il transmettre de manière subliminale qu'une vision de paix, de sérénité et de bonheur, alors que l'histoire nous apprend qu'il vivait dans une ville et une époque guère préservées? Découvrant ces lignes - et cette énigme - ce dimanche matin au petit-déjeûner, un rayon de soleil fait soudain resplendir l'étui à lunettes jaune de Marie-France, et le melon d'Espagne doré qui se trouve à ses côtés. La "chair immatérielle du soleil" prend soudain une consistance inattendue. La journée peut commencer.

Lu dans:
Sylvie Germain. Vermeer. Ed. Flohic. 1993
Francis Mathys. Les mensonges de Vermeer. Lire. LLB. lundi 17 mai 2010.
Michael Taylor. Les mensonges de Vermeer. Biro Editeur. 2010. 176 pages.

15 mai 2010

Carré vert, carré bleu

"Les deux carrés nécessaires à la survie de l'Homme: le carré d'herbe pour reposer le corps et un carré de ciel pour reposer les yeux."
S Tesson


Lu dans:
Sylvain Tesson. Petit traité sur l'immensité du monde. Edition des Eéquateurs 2005. 167 pages. extrait page 53

14 mai 2010

Tout va trop vite

"Vous avez remarqué comme les gens marchent vite
dans la rue ? . . .
Il y a quelques jours,
je rencontre um monsieur que je connaissais,
je vais pour lui serrer la main,
le temps de faire le geste . . .
il était passé !
Eh bien j'ai serré la main à un autre monsieur
qui, lui, tendait la sienne à un ami
qui était déjà passé depuis dix minutes."

Raymond Devos
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13 mai 2010

Un improbable destin

"J'ignore l'image que je donne de moi au monde, mais à mes propres yeux j'ai l'impression d'avoir toujours été un garçon jouant au bord de la mer, se divertissant du galet tout lisse ou du coquillage plus joli que d'ordinaire qu'il trouve de loin en loin, alors que le grand océan de la vérité s'étend devant lui, inexploré".
Isaac Newton
On retrouve la page blanche de l'adolescence, évoquée il y a quelques jours. Entre un improbable jamais tout-à-fait impossible et un réel jamais vraiment ordinaire, l'être humain se construit une existence. Le galet poli au creux de la main lui sert de certitude, l'infini de la mer le fait rêver. Faute d'un destin, il lui reste la possibilité de se construire le récit d'une vie à cheval sur le rêve et la réalité, et de le rendre convaincant. Certains y réusissent mieux que d'autres.

Lu dans :
La phrase de Newton sert d'épitaphe au roman "Ne plus jamais dormir" de WF Hermans, 1966. Trad. du néerlandais par Daniel Cunin, Gallimard, 2009.

Poésie du sol dièse

"On a improvisé pendant deux ans avec des centaines de casseroles achetées aux puces. A force, on a même découvert la note dominante d'une casserole: le sol dièse. Peu de gens savent qu'en cuisinant une omelette ou un steak, ils jouent sur ce ton."
Kevin Brooking.


Merveilleux acteurs de rue, Kevin Brooking et Colm O'Grady jouent des ustensiles de cuisine avec un humour déjanté. Si Molière nous a appris que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, ils nous révèlent que nous faisons de la musique, autant savoir.


Lu dans:
Catherine Makereel. De l'art de prendre des casseroels en plein air. Le MAD du 12 mai 2010. page 42

L'âge de tous les possibles

"... au seuil de l'âge adulte, quand tout est possible et rien n'est faisable."
T. Sotinel


Adolescence. Une page blanche, où se déclineraient les multiples vies que l'on rêve possibles, et dont il est parfois si pénible d'écrire la première ligne. On l'oublie vite, mais il y avait toujours un bouton d'acné, un kilo de trop, - ou trop peu, - une angoisse de différence, une ignorance de ce qui se passait quand cela pourrait se passer, un lapsus stupide ou un faux pas ridicule, un pantalon trop large, ou trop court, ou trop vieux, un espoir déçu, une attente sans coup de téléphone, une flamme sans lendemain possible, un rêve de destin grandiose - devenir président des Etats-Unis par exemple, ou champion cycliste, ou acteur renommé - fracassé par une parole assassine du genre "elle est vraiment trop moche ta robe" ... L'adolescence me reste sur le coeur, pas vous?, âge fragile où je sortais comme enfoui sous un niqab ou une burqa, scrutant les visages sans vraiment offrir le mien. On met du temps à quitter le voile intégral, à se laisser voir, à se faire entendre, à prendre simplement quelqu'un par le bras pour l'aider à traverser une rue de l'existence. Curieux sentiment, mais je préfère le maintenant.

Allez, je vous souhaite une bonne fête de l'Ascension, ce récit énigmatique de la présence dans l'absence. Sont oubliées depuis longtemps l'imagerie saint-sulpicienne, les nuées et le départ vers les cieux, mais comment tuer l'humaine espérance que ceux qui nous ont aimés ne meurent jamais tout-à-fait? Faute d'être vrais, il est des mirages que l'on aime entretenir car ils enjolivent si bien la journée qu'on a quelque peine à s'en réveiller.

CV.

Lu dans :
Thomas Sotinel. De grands garçons blonds dans la lumière de journées interminables. Le Monde 12 mai 2010 (à propos du premier long-métrage du Suédois Jesper Ganslandt ADIEU FALKENBERG).

10 mai 2010

Protéger sans couper du soleil

"La haie protège le jardin des vents dominants, elle ne doit pas le couper du soleil."
Sagesse du jardinier
Les bonnes lectures du week-end recèlent de délicieuses surprises. Prenez l'entretien des haies, un véritable art de vivre dont tout pédagogue, parent ou édile, s'inspirera utilement. Saviez-vous qu'il convient d'utiliser au moins un tiers de persistants en mélange avec des caducs (toute comparaison avec des personnes, etc.) Privilégier des plantes à intérêts multiples, sauvegarder le parfum et la possibilité de bénéficier de fruits en abondance (ah les mûres de fin de saison). Aimer la la faune qui s'y abrite, paisible, curer la mare en laissant les débris recueillis quelques jours au bord pour que les petits animaux qui s'y trouvent puissent regagner l'eau: les plus petits gestes sont grands. Chacun devrait au moins une fois dans son existence planter son chêne, l'arbre qui nourrit le plus d'insectes différents avec son feuillage, ses bourgeons et son bois. Ne pas craindre sa taille imposante car il se laisse inclure dans une haie si on le rabat régulièrement à la base. Il ne fera dans ce cas pas de tronc unique mais un bouquet de rejets dont la hauteur sera facile à contrôler: j'en ferais volontiers une devise de vie.

Lu dans:
Plantes des haies champêtres. Christian Cogneaux. Photographies Bernard Gambier. Le Rouergue. 2009.
Pas toujours vertes les haies ? Marie Noëlle Cruysmans et Marie Pascale Vasseur. LLB. Momentum. 30/04/2010.

Cache-toi, objet. Slogan en Sorbonne, Mai 68

"Plus besoin de faire de recherches, nous avons déjà trouvé ce que vous voulez. "
Anand Venkataraman, créateur de Sense Networks

Quel avenir merveilleux. Quand vous posez une question à Google via votre mobile, celui-ci pourra la faire transiter par la plate-forme de Sense Networks, start-up qui compte aujourd'hui une quinzaine d'employés, répartis entre New York et la Californie, et exploite un système permettant de profiler un possesseur de téléphone portable sans rien lui demander, en se basant exclusivement sur ses déplacements quotidiens. Après une période d'observation continue des mouvements d'un téléphone, le moteur d'intelligence artificielle sait si son propriétaire est un homme ou une femme, jeune ou âgé, riche ou pauvre, dépensier ou avare, diplômé ou non, nomade ou sédentaire, employé stable ou précaire... Il reste à fournir via Google des recommandations basées sur ces informations personnelles, sur mesure, spécialement adaptés à ses goûts ou à son mode de vie.
Un soixante-huitard en moi persifle: "Plus besoin de faire de recherches, nous avons déjà trouvé ce que vous ne vouliez pas."


Lu dans:
Le téléphone qui en savait trop. Yves Eudes. Le Monde du 11.05.10

09 mai 2010

La fusion n'est pas amoureuse

"Vous demandez comment le sentiment d'aimer pourrait survenir. Elle vous répond : peut-être d'une faille soudaine dans la logique de l'univers."
M. Duras
Me revient soudain le souvenir ému de Gabrielle et Roger. Elle était bossue, il était borgne. Jamais couple aussi désappareillé ne fut pourtant mieux assorti. Vingt ans les séparait, elle était son aînée. Une vie commune sans passion ni romantisme, tissée de gestes affectueux qui permettent d'oublier qu'on est né sous le signe de pas de chance. Partager la même table aidait Roger à ne pas boire et augmentait l'appétit de sa compagne. Il est mort six mois avant elle, pas logique du tout quand on est le cadet. Elle ne lui survécut guère et j'eus le pénible privilège de la découvrir un matin, raide déjà, au pied de son lit. Depuis, j'ai révisé l'image "salon du mariage" de ce que devrait être le couple idéal.

Lu dans :
La maladie de la mort. Marguerite Duras. 1983. 64 pages