04 décembre 2025

Ô vous, frères humains

 "Je suis resté le naïf de mes dix ans. Mais je dois leur dire ce que je sais et advienne que pourra de ma folie. Ô vous, frères humains, connaissez la joie de ne pas haïr."
                                Albert Cohen

                     


En 1972, pressentant sa mort, Albert Cohen livre ce qui restera un de ses meilleurs textes sur ces aberrations monstrueuses que sont le racisme et la xénophobie.  En première hier soir sur la scène du Public, Bernard Cogniaux en conteur prodigieux nous emporte par les chemins de l’enfance, sur les traces du petit Albert, dans les rues de Marseille. Tour à tour lyrique empathique, sarcastique, fort, tendre, érudit, mais jamais désespéré, il nous envoûte par une parole intelligente et généreuse, profonde et juste, qui ne surjoue jamais. Moment suspendu dont on ne perd pas une miette. A la fois hors du temps, et hélas si actuel. 
Y repensant ce matin, je m'interroge néanmoins. La haine de l'autre, à la source de tous les pogroms, massacres, déportations de masse, dont l'oeuvre d'Albert Cohen s'inspire, est-elle propre à l'être humain, ou aux circonstances?  Si présente dans divers foyers de notre monde actuel, à l'origine de tant d'horreurs, je ne retrouve guère cette haine dans la variété des habitants de nos quartiers et des patients que je vois chaque jour. Suis-je à ce point aveugle et sourd, ou l'extrême diversité de l'immigration dans nos communes, sans pour autant secréter un "amour infini du prochain" (comme le moque d'ailleurs l'auteur lui-même), empêche-t-elle que se fixent les animosités sur un seul groupe-cible?  Le duo Cohen/Cogniaux ne donne pas de réponse à cette interrogation, et il n'y en a sans doute pas.


Lu dans: 
Albert Cohen. Ô vous, frères humains. Gallimard 1988. 212 pages. 

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