03 décembre 2025

La part de l'ombre

  "A un éclat superficiel et glacé, nous avons toujours préféré les reflets profonds, un peu voilés; soit, dans les pierres naturelles aussi bien que dans les matières artificielles, ce brillant légèrement altéré qui évoque irrésistiblement les effets du temps. "Effets du temps", voilà certes qui sonne bien mais, à vrai dire, c'est le brillant que produit la caresse des mains. Les Chinois ont un mot pour cela, "le lustre de la main, 手泽 ou shǒuzé", alors que les Japonais disent l'"usure" : le contact des mains au cours d'un long usage, leur frottement, toujours pratiqué aux mêmes endroits, produit avec le temps une imprégnation grasse. [...] Contrairement aux Occidentaux qui s'efforcent d'éliminer radicalement tout ce qui ressemble à une souillure, les Extrême-Orientaux la conservent précieusement, et telle quelle, pour en faire un ingrédient du beau."

                                Junichirô Tanizaki



Dans un essai sur l'esthétique japonaise, publié en 1933, Junichirô Tanizaki défend une esthétique de la pénombre comme réaction à l'esthétique occidentale où tout est éclairé. Il revendique la patine des objets en opposition au culte du neuf et du llisse cher à l'Occident.  Et par extension lla trace laissée par la main, l'empreinte produite par le contact prolongé d’une personne chère ou d'un ancêtre, ainsi que les ridules d'un visage qui a vécu.  On sort de l'esthétique pour rejoindre une réflexion plus subtile sur nos vies.


Lu dans:
Junichirô Tanizaki, René Sieffert (Traducteur). Eloge de l'ombre . Verdier. 2011. 90 pages  

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