"Chaque année, pourtant, la mode donne à ma tenue un démodé supplémentaire. Mon manteau désormais élimé confère moins à mon allure l’élégance d’antan que la preuve de mon incapacité à m’habiller au goût du jour. Dans peu de temps, je serai l’archétype de l’homme ruiné, vagabond aux habits d’aristocrate usés, Charlot des temps modernes, Charlot 2.0. Je vais rentrer chez moi sans avoir gagné un sou.(..) Passant devant la charcuterie de la luxueuse Maison Verot, je m’attarde pour admirer les pâtés en croûte et plus particulièrement l’Oreiller de la Belle Aurore, chef-d’œuvre charcutier de la maison. Une dame, la moitié du visage enfouie dans un col de renard, croyant que je fais la queue, se glisse derrière moi et, désignant la vitrine, me souffle : — On ne sait que choisir, n’est-ce pas ? "
Franck Courtès
Franck Courtès nous fait pénétrer avec talent dans les coulisses de la
vie d'un écrivain, cultivant l'autodérision avec une maîtrise parfois
douloureuse. Dans A pied d’œuvre, il raconte comment, lassé de la
photographie, son métier et une source de revenus confortables, il
s’est lancé dans une nouvelle carrière d’écrivain, avec un succès
d’estime qui « ne suffit pas à faire vivre un auteur ». Et conduit à une
multitude d’emplois précaires auxquels il n’était pas préparé, revenus
de substitution précaires, déménageur, monteur de meubles, livreur à
vélo de repas à domicile, taxi clandestin, on en passe. Petits boulots
plutôt que petits métiers ("c’est votre métier, le bricolage ?"), on
retrouve dans cet ouvrage le style, la verve, la réflexion sur le monde
parallèle des emplois précaires du livre "Le Quai de Ouistreham" de
Florence Aubenas. Un bonheur de lecture, qui éclaire d'une lumière crue
la réalité du monde de la littérature.
Lu dans:
Franck Courtès. À pied d'œuvre. Editions Gallimard. NRF Édition du Kindle. p.98
Pierre Maury. Les coulisses de la vie des écrivains. Le Soir Livres. 16 septembre 2023
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