29 septembre 2023

La vie comme un jeu

 

"Trouve un métier que tu aimes
et tu ne travailleras plus un seul jour de ta vie."
            Confucius



Enfants nous eûmes vingt métiers. Couchés dans le sable, calés dans les branches des arbres, sautillant sur le trottoir, on construisait des fermes, des châteaux ou des barrages tour-à-tour soldats, agriculteurs, pompiers ou policiers. Et on interchangeait les rôles, le héros de guerre devenait le prisonnier, le docteur se laissait examiner comme un malade, le jardinier se transformait en marchand de fleurs. Un jour il fallut choisir un vrai métier, et le pompier affronta de vrais incendies. Rares furent ceux pour qui la vie resta un jeu, mais ceux-là eurent bien de la chance.



26 septembre 2023

Le bon sens

 

"La plupart des voyageurs en train préfèrent être assis dans le sens de la marche."
                    Mathias Enard



Lu dans: 
Mathias Enard. Déserter. Actes Sud. 2023. 256 pages

24 septembre 2023

Y aller, mais vers où?

 

"On sort de l'enfance sans savoir ce qu'est la jeunesse, on se marie sans savoir ce que c'est que d'être marié, quand on entre dans la vieillesse, on ne sait pas où on va. En ce sens, la terre de l'homme est la planète de l'inexpérience », 
                                Milan Kundera



Lequel d'entre nous entamerait un voyage sans savoir où il va, ou prendrait un train sans en connaître la destination? Sauf dans nos vies, où nous nous levons le matin dans l'ignorance de ce que nous aurons appris - en bon ou en pire - le soir, insouciant de nos maladies ignorées car silencieuses, des drames dissimulés que vivent de nos proches, des tornades et séismes qui secouent notre planète, et ignorant tout de l'heure de notre fin (une heure? vingt ans? cela fait pourtant une sacrée différence).  Bienheureuse routine des jours, qui limite l’horizon du marcheur au sommet de la prochaine côte.



Lu dans: 
Ariane Chemin. A la recherche de MIlan Kundera. Seuil 2021. Points. 140 pages. Extrait p. 131

21 septembre 2023

Où s'envolent les pensées d'un enfant la nuit?

 

"Qu'est-ce qui a changé? Pas grand chose
Je n'ai pas rangé les questions que je me pose
On m'disait tu comprendras plus tard, tu comprendras plus tard
mais on est plus tard et je comprends pas."                   
                    Bigflo et Oli.  Plus tard



Il y a quelques semaines, une maman apeurée consulte pour sa fille, un vrai soleil sur pattes, qui ne trouve pas le sommeil car envahie de questions existentielles. Elle se pose la question de son existence sur terre, du hasard de l'avant et de l'après, de ce qu'elle deviendra à sa mort. Enfin un être humain me dis-je, insolite dans cette consultation faite de maux de dos, de gargouillis des viscères et des petites misères qui se vivent dans les petits bureaux. Ma consultation est sauvée par cette enfant qui fait l'angoisse de sa maman en demande de sédatifs qui lui rendraient le sommeil. Je fouille dans ma bibliothèque et lui remets mon exemplaire du Petit Prince, annoté de partout. J'avais douze ans comme elle, et en illustrais les marges de questions et d'hypothèses, restées toutes sans réponse un demi-siècle plus tard. Lui remettre cet aveu d’incertitude, et la conviction que - malgré tout - le bonheur est possible et qu'on peut donner du sens à tant de mystères, sera mon somnifère partagé ce soir. Et à la maman, je l'assure qu'elle a la chance d'avoir une enfant de cette trempe.


Lu dans :
Plus tard. Chanson de Bigflo et Oli. Paroliers : Clément Libes / Florian Ordonez / Olivio Ordonez. BMG Rights Management (France),

19 septembre 2023

Les braises qui réchauffent

 "Il était tailleur de pierre, puis fabricant de cheminée. Le slogan qu’il avait conçu pour son enseigne vaut les punchlines des meilleurs pubeux : « Transforme le feu en chaleur. »

                            Charles Wright



Un vrai programme de vie, auquel on souscrit volontiers quand les forces s'estompent et que la vigueur des projets diminue. Entretenir les braises quand la hauteur des flammes décline, et s'en réjouir, ne saurait être triste.


Lu dans:
Charles Wright. Le chemin des estives. Flammarion. 2021. 368 pages

L'arrière-vie d'un écrivain

 

"Chaque année, pourtant, la mode donne à ma tenue un démodé supplémentaire. Mon manteau désormais élimé confère moins à mon allure l’élégance d’antan que la preuve de mon incapacité à m’habiller au goût du jour. Dans peu de temps, je serai l’archétype de l’homme ruiné, vagabond aux habits d’aristocrate usés, Charlot des temps modernes, Charlot 2.0. Je vais rentrer chez moi sans avoir gagné un sou.(..) Passant devant la charcuterie de la luxueuse Maison Verot, je m’attarde pour admirer les pâtés en croûte et plus particulièrement l’Oreiller de la Belle Aurore, chef-d’œuvre charcutier de la maison. Une dame, la moitié du visage enfouie dans un col de renard, croyant que je fais la queue, se glisse derrière moi et, désignant la vitrine, me souffle : — On ne sait que choisir, n’est-ce pas ? "
                            Franck Courtès




Franck Courtès nous fait pénétrer avec talent dans les coulisses de la vie d'un écrivain, cultivant l'autodérision avec une maîtrise parfois douloureuse. Dans A pied d’œuvre, il raconte comment, lassé de la photographie, son métier et une source de revenus confortables, il s’est lancé dans une nouvelle carrière d’écrivain, avec un succès d’estime qui « ne suffit pas à faire vivre un auteur ». Et conduit à une multitude d’emplois précaires auxquels il n’était pas préparé, revenus de substitution précaires, déménageur, monteur de meubles, livreur à vélo de repas à domicile, taxi clandestin, on en passe. Petits boulots plutôt que petits métiers ("c’est votre métier, le bricolage ?"),  on retrouve dans cet ouvrage le style, la verve, la réflexion sur le monde parallèle des emplois précaires du livre "Le Quai de Ouistreham" de Florence Aubenas. Un bonheur de lecture, qui éclaire d'une lumière crue la réalité du monde de la littérature.



Lu dans:
Franck Courtès. À pied d'œuvre. Editions Gallimard. NRF Édition du Kindle. p.98
Pierre Maury. Les coulisses de la vie   des écrivains. Le Soir Livres. 16 septembre 2023

17 septembre 2023

Vivre pauvre n'est pas simple

 

"Devenir pauvre ne consiste pas à vivre plus simplement. Au contraire, la pauvreté complique singulièrement ma vie. Celle-ci se voit soumise à mille économies, mille mesquineries. Du papier de toilette duquel je n’ôte plus qu’une feuille à la fois, à la température de mon logement que j’essaye d’abaisser au minimum, moyennant une courte séance de gymnastique toutes les deux heures afin de me réchauffer. On trouve toujours quelque chose à sacrifier quand on doit vivre avec peu." 
                        Franck Courtès



Comme le soulignait avec humour Martin Hirsch, qui fut responsable un moment du mouvement Emmaüs, "être pauvre coûte cher". Cuisiner, se chauffer, se déplacer, donner à ses enfants l'éducation nécessaire quand on est logé dans de mauvaises conditions, aux mauvais endroits, sans garantie de conserver son habitat, est galère. Le recours aux plats préparés de bas de gamme se substitue aux plats mitonnés faute d'une cuisine équipée minimale, la chaufferette électrique pare comme elle le peut au manque d'isolation et les interminables navettes de la banlieue vers le lieu de travail épuisent les organismes et les maigres ressources. "Salauds de pauvres" lançait à la cantonade un Gabin franchouillard dans le film La traversée de Paris (1956). Quelques septante ans plus tard, pas sûr que la pauvreté ait perdu du terrain.



Lu dans: 
Franck Courtès . À pied d'œuvre. Gallimard. NRF. 2023.  192 pages.

16 septembre 2023

Le pitch de nos vies

 

"Je cherche à résumer ma vie comme s’il s’agissait du pitch d’un film. Quel genre cinématographique est-ce ? 1. Film d’action ; 2. Comédie absurde ; 3. Drame intimiste ; 4. Documentaire animalier. » 
                            Charly Delwart



On peut rire de tout, surtout de soi. Au jeu de notre enfance "et si c'était.." redéfinir sa propre existence fluctue en fonction des jours et de nos états d'âme, du plus absurde au plus exaltant. Nul récit de vie n'est absolument objectif, surtout si c'est nous qui le narrons. En soixante-dix questions dépliées comme un choix multiple en quatre cases, l'écrivain philosophe Charly Delwart développe avec humour le questionnaire de son existence avec, en filigrane, une question qui nous relie tous : comment concilier avec toutes ses facettes la seule existence qu'on a ?



Lu dans:  
Charly Delwart. Que ferais-je   à ma place ? Flammarion. 2023. 208 pages

14 septembre 2023

Le col pelé

 

"Il faut savoir ce qu’on ne veut pas vivre. Quand on le sait, la vie est généreuse »
                        Serge Rezvani



L'histoire est belle. Est-elle construite? On ne le saura jamais. Fils de modestes réfugiés russe et iranien, rescapé d’une enfance douloureuse, Serge Rezvani a fait de sa longue vie une œuvre d’art. Un jour de vaches maigres, un riche homme d’affaires propose de lui acheter tous ses tableaux, et d’en devenir le propriétaire exclusif. C’était faustien, obtenir d’un coup le plus bel atelier de Paris, tout l’argent dont on peut rêver, en signant un contrat éternel l'engageant lui et sa descendance. Il préfère encore la misère, devenir le Loup du Chien (La Fontaine), qui chemin faisant découvre le col du Chien, pelé : Qu'est-ce là  ?  Rien.  Quoi ? Rien ? Peu de chose. Mais encor ?  Le collier dont je suis attaché de ce que vous voyez est peut-être la cause. Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas où vous voulez ?  Pas toujours, mais qu'importe ?  Il importe si bien, que de tous vos repas je ne veux en aucune sorte, et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.



Lu dans:  Nicolas Crousse. Serge Rezvani. C’était la misère, mais j’avais le goût de la vie. Le Soir 9.9.23 Weekend
Jean de La Fontaine. Le loup et le chien.

13 septembre 2023

Au plus haut

 “Quand on monte au mât, on doit s’assurer qu’on n’a pas un trou à sa culotte”.


Marie Arena cite son propre père. J'aurais apprécié de connaître cette personne capable de résumer en si peu de mots compréhensibles par tous la notion d'exemplarité dans l'exercice de certaines fonctions.




Lu dans:
Marie Arena. Qatargate : Marie Arena livre sa vérité. Le Soir 11 9 23 

12 septembre 2023

Chaud

 

"Aujourd'hui je n'ai rien fait.
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Des oiseaux qui n'existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leur corps.
Des paroles qui existent
ont recouvré leur silence.
Ne rien faire
sauve parfois l'équilibre du monde,
en obtenant que quelque chose aussi
pèse sur le plateau vide de la balance.
                        Roberto Juarroz (1925-1995)



Eh oui, aujourd’hui je n'ai rien fait. La chaleur nous a engloutis. J'avais préparé le vélo pour une longue sortie dont je me réjouissais, la prudence m'en a fait abandonner l'idée. Même la lecture emportée m'a assoupi. Le rosé ne resta frais qu'une dizaine de minutes et je n'eus pas la volonté de préparer par la suite le petit café italien qui relance. Je mis mon espoir dans la mousse légendaire d'une Duvel Triple Hop, qui me parut éteinte, un de ces pétards mouillés en réanimation, qui parvint à enlever jusques désir d'une deuxième. Il y a des jours comme cela.

En un mot, j'étais dans la ouate, "apparemment elle est heureuse / C'est la plus heureuse / Des paresseuses / De toutes les matières / C'est la ouate que je préfère." Jusqu'à surgisse soudain dans cette ouate un fort lointain verset latin - du Virgile- parlant du berger Tityre, vautré sous la ramure d'un hêtre, jouant du pipeau pour la belle Amarylis devant ses amis ruinés rentrant de guerre. Mystère d'une antique leçon de latin remontant les siècles, et les vicissitudes des guerres, pour venir nous susurrer à l'oreille que parfois, ne rien faire peut être important. 

            Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi,
            Silvestrem tenui musam meditaris avena ;
            Nos patriae fines et dulcia linquimus arva ;
            Nos patriam fugimus ; tu, Tityre, lentus in umbra,
            Formosam resonare dotes Amaryllida silvas.


Lu dans:
Virgile Bucoliques I . Bibliotheca Classica Selecta - FUSL - UCL (FLTR)

La notion d'exemplarité

 

“Quand on monte au mât, on doit s’assurer qu’on n’a pas un trou à sa culotte”.


Marie Arena cite son propre père. J'aurais apprécié de connaître cette personne capable de résumer en si peu de mots compréhensibles par tous la notion d'exemplarité dans l'exercice de certaines fonctions.



Lu dans:
Marie Arena. Qatargate : Marie Arena livre sa vérité. Le Soir 11 9 23 

09 septembre 2023

Passeurs de sens

 

 "Face à la surabondance d’informations propre à notre époque, l’enjeu pour l’école est moins de lutter contre l’ignorance que contre l’insignifiance, c’est-à-dire de fournir une articulation des savoirs et une hiérarchie des valeurs." 

                            Jean-Marie Domenach



C'est la rentrée: une coïncidence d'articles et un film s'interrogeant sur le rôle indispensable des profs dans notre société. De bonnes lectures pour le weekend.


Lu dans:

Jean-Marie Domenach.  Ce qu’il faut enseigner. Pour un nouvel enseignement général dans le secondaire, Paris, Seuil, 1989, p. 70-71.
Cité dans La Revue Esprit. 8 septembre 23. « Les passeurs de l’essentiel »
Sur le même sujet, une sortie cinéma cette semaine. "Un métier sérieux". Un film de Thomas Liliti. Le Soir de samedi 9 septembre 23.  "Le rôle des profs est d’apprendre le vivre en société". Eric Burgraff, Didier Stiers.

07 septembre 2023

Sagesse de Lao Tseu

 

"Ce que la chenille appelle fin du monde, le reste du monde l'appelle papillon."
Lao Tseu


Dans un de ses ouvrages, la pédiatre Françoise Dolto utilisait l'image de la chenille et du papillon pour expliquer la mort aux enfants. Une patiente arrivée au bout de sa vie confiait la semaine passée le soulagement qu'elle ressentait à la simple idée de quitter définitivement son enveloppe devenue prison pour s'envoler libre de toute attache et de toute souffrance. On peut la comprendre.



Je vous

06 septembre 2023

Sombre beauté

"Tout-à-coup, la nuit s’est transformée en jour, et il faisait extrêmement clair, le froid s’est transformé en chaud ; la boule de feu est passée petit à petit du blanc au jaune puis au rouge à mesure qu’elle grandissait et montait dans le ciel ; après environ cinq secondes, l’obscurité est revenue, mais le ciel et l’air étaient remplis d’une lueur violette, comme si nous étions en pleine aurore boréale. […] Nous sommes restés là, émerveillés, alors que l’onde de choc soulevait le sable du désert et nous caressait bientôt de son souffle. "
            Joe Hirschfelder, chimiste chargé de mesurer les retombées radioactives de l’explosion-test de la première bombe A dans le désert d'Alamogordo (Nouveau Mexique) en juillet 1945




La beauté ne se tracasse ni du bien ni du mal: la description émerveillée d'un des scientifiques ayant fait exploser sur le site d'Alamogordo la première bombe A opérationnelle, quelques jours avant la destruction des villes d'Hiroshima et de Nagasaki, traduit bien l'émotion artistique ressentie devant la réussite d'un interminable processus d'élaboration d'une bombe d'une puissance telle "qu'on n'envisagerait même plus de faire la guerre dans l'avenir".  On est loin du compte, même s'il est vrai que l'effet dissuasif du recours aux bombes A et H a fonctionné depuis.




Lu dans :
Kai Bird, Martin Sherwin. Traduction Peggy Sastre. Robert Oppenheimer - Triomphe et tragédie d'un génie Cherche Midi. 2023. 912 pages. [Édition du Kindle. Extrait (p. 438)]. L'ouvrage est la principale inspiration pour Oppenheimer, le film biographique réalisé par Christopher Nolan consacré au scientifique sorti en 2023.

05 septembre 2023

Aux origines

 

"Horta peut se dire lui aussi que c’est un grand moment.
La presse du lendemain ne lésine pas sur les comptes rendus. Le Peuple consacre un numéro spécial à ce qu’il nomme désormais le Monument [la Maison du Peuple], avec force photos, extraits du discours de Jaurès, hommage à César De Paepe et aux fondateurs du parti, portrait de Victor Horta; on rappelle l’histoire des coopératives, on énumère les magasins, fiers de cette maison avec sa musculature de fer qui la dresse, indestructible ; ils sont montés sur la terrasse, ils ont vu la ville entière à ses pieds.
Mais ce jour-là, au fond, Horta n’a personne parmi tout ce monde à qui le glisser à l’oreille, ni même un bras accroché au sien qu’il pourrait serrer aux moments les plus forts. Il doit bien se faire à l’évidence qu’il s’est trompé et qu’un métier, ainsi qu’il l’écrira plus tard, quand il vous occupe à ce point l’existence, est une terrible concurrence pour l’amour, même si vous avez toujours pensé que votre réussite servirait au bonheur de l’autre ; mais là aussi il s’est trompé, il faut croire. En fin de compte, seul, il l’est bel et bien, que les temps soient difficiles ou à la réussite ; et qu’y faire, sinon poursuivre ce métier, son art, comme il dit, qui lui occupe l’existence. N’empêche, ce soir, il ne se sent pas d’humeur à faire la fête, il est f a t i g u é. " 
                    Nicole Malincolini. Inauguration de la Maison du Peuple, place Emile Vandervelde. 1899.



Le fantôme de Victor Horta hante la maison de la rue Américaine que nous avons visitée la semaine passée. Comme si né d'un modeste artisan cordonnier gantois il mesura durant tout son existence la fragilité du succès, arrêtant brutalement la rédaction de ses mémoires le jour du décès inopiné de sa fille Simone, ou  liquidant lors de son dernier déménagement comme vieux papiers 800 kg de dessins, de croquis et d'archives, anéantissant de fait pratiquement entièrement l'imposante documentation graphique de toute son œuvre. Allégorique de son destin est l'histoire de "sa" Maison du Peuple, bâtie au départ de 1896 par Victor Horta en plein cœur de Bruxelles, inaugurée en grande pompe dans la clameur de L'Internationale et des slogans du monde ouvrier, honneur rendu au fer, au verre, à la lumière. Celui qui révolutionnait l'art de bâtir et devenait un des maîtres de l'Art Nouveau, offrait au jeune Parti Ouvrier Belge un lieu à la hauteur de ses aspirations. Nicole Mancolini fait oeuvre d'historienne engagée en brossant avec objectivité et enthousiasme l'histoire d'un quartier, d'une ville, de deux guerres traversées, mais aussi celle d'un mouvement ouvrier, des espérances qu'il a suscitées, et dont la Maison était en quelque sorte le cœur. L'histoire d'un monde fragile, n'ayant pas résisté à cette course au progrès qui mènera, 65 ans plus tard, à démolir du rez-de-chaussée aux étages la Maison du Peuple comme on efface un temps révolu, afin d'utiliser le potentiel immobilier énorme que ce quartier en expansion avait pris près du vieux Sablon. Au fil de mes lectures cette semaine, ma déception est grande de découvrir que la vaste nébuleuse du mouvement socialiste belge est à l'origine même de la destruction de son temple, porté aux cimaise au début du siècle. Accompagné ou non de Victor Horta, je n'oserais pour rien au monde promener mes grands-parents paternels "rouges sang", admirateurs de Piaf et de Jaurès, qui me firent découvrir avec émotion ce site historique en 1960,  devant l'immeuble fonctionnel qui le remplace: ils en perdraient définitivement leurs convictions coopératives.



Lu dans:
Nicole MALINCONI. De fer et de verre: La Maison du Peuple de Victor Horta. Traverses. Impresions Nou. 2017. 176 pages.

04 septembre 2023

Une étincelle perdue dans l'univers

"Qu'en serait-il du monde sans nous ?
Quelques grains de sable en plus, ou en moins ?"
                        Véronique Biefnot



Bien sûr, que sommes-nous à l'échelle de l'infini, révélé ces derniers mois par les incroyables clichés du télescope spatial James Webb: après l'immensité, il y a de nouveau de l'immensité et encore et encore... Que reste-t-il de nous dans tout cela, une vraie leçon de modestie. Et pourtant, nous dire que ces quelques grains de sable en plus ou en moins aient pu imaginer la Bombe, créer une œuvre musicale au départ de quelques notes éparses, une piéta en creusant le marbre brut, ou plus simplement transformer la vie par une oreille à l'écoute ou une main tendue, ne peut laisser indifférent. N'être rien et pouvoir tout,  la fragilité de l'être humain perdu dans son univers immense reste un mystère.



Lu dans: 
Véronique Biefnot. Certaines ombres rêvent. Éditions MFO. 2023. 164 pages. Extrait p 81

02 septembre 2023

Je danse donc je vis

 

"Bien sûr
je ne réponds plus vraiment : je chante.
Mais va-t-on demander
à l'oiseau la raison de son chant ?" 
            Christian Bobin



Une petite fille sur le trottoir descend la rue en sautillant. Une gratuité du geste que nous avons pour la plupart perdue. A-t-on encore assez de musique en nous pour faire danser la vie, et à quel moment de notre existence cela s'est-il progressivement perdu?


Lu dans:
Christian Bobin. Les différentes régions du ciel. Œuvres choisies. 1020 pages. Quarto Gallimard. 1990. Extrait p.357

01 septembre 2023

Beau temps, triste temps

 "Pour qui veut fréquenter modérément les êtres humains et connaître en même temps la beauté et la tranquillité, il ne reste plus beaucoup d'autres destinations à choisir que celles qui ont mauvaise réputation sur le plan climatique."
                        Björn Larsson


Sésame traditionnel des retrouvailles après s'être inquiété de la qualité des vacances , la question "Avez-vous eu du beau temps?" Notion qui avec les canicules extrêmes, le manque d'eau alarmant, les incendies ravageurs évolue insensiblement: le grand Sud perd de sa superbe au profit de régions jadis snobées. Comment reconnaître que le Morbihan et ses averses, voire l'un ou l'autre jour de pluie continue, nous a comblés?
Ce matin, réveil par le clapotis continu d'une pluie drue prolongeant l'obscurité de la nuit. Demain s'annoncent de belles éclaircies, cette alternance rassure: on aura du bon grain et de beaux raisins. Le vrai beau temps en quelque sorte.


Lu dans:  Björn Larsson.
La Sagesse de la mer: Du cap de la colère au bout du monde. Poche. 2005. 256 pages. Extrait p.112