"Quand donc est-on chez soi? Quand est accueilli, soi-même, ses proches et sa, ses, langues." Barbara Cassin
Mes voisins du monde, aux identités multiples, habités par une
double nostalgie: celle d'Ulysse, rattachée à l'errance et au retour, et
celle d'Enée fuyant Troie pour fonder Rome, exilé pour s'enraciner.
Choix difficile pour bon nombre, enracinés ici (les enfants, les
petits-enfants, la maison, la rue qu'on aime), et là-bas (le soleil, les
parents âgés, le village, la famille élargie), que seul le temps des
vacances et du retour pour un séjour prolongé permet de concilier. La
pratique de la consultation fait découvrir à quel point la nostalgie
n'est pas seulement liée au sol mais aussi et surtout à la langue et la
culture. Longtemps m'irritèrent ces mamans immigrées dont les enfants
traduisaient les plaintes, leur ignorance du français après tant
d'années m'apparaissant comme un refus d'intégration. Aujourd'hui mon
regard a changé. Leur laisser la bulle d'une langue dans laquelle elles
se sentent à l'aise, où elles puissent s'exprimer en toute liberté, dans
la nuance et la complexité, équivaut à leur offrir un espace de soins
où elles se sentent chez elles, nous invitant à repenser ce que sont la
patrie, l'étranger, l'hospitalité. Qui impose sa langue restreint la
vision de ce qu'est la santé, et le chemin pour y arriver. Cela mérite
un interprète.
Lu dans:
Barbara Cassin. La nostalgie. Quand donc est-on chez soi? Pluriel. Autrement. 2013. 150 pages. Extrait p.132
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