06 août 2021

Malade en toutes les langues

 "Quand donc est-on chez soi? Quand est accueilli, soi-même, ses proches et sa, ses, langues."                                         Barbara Cassin

 


Mes voisins du monde, aux identités multiples, habités par une double nostalgie: celle d'Ulysse, rattachée à l'errance et au retour, et celle d'Enée fuyant Troie pour fonder Rome, exilé pour s'enraciner. Choix difficile pour bon nombre, enracinés ici (les enfants, les petits-enfants, la maison, la rue qu'on aime), et là-bas (le soleil, les parents âgés, le village, la famille élargie), que seul le temps des vacances et du retour pour un séjour prolongé permet de concilier. La pratique de la consultation fait découvrir à quel point la nostalgie n'est pas seulement liée au sol mais aussi et surtout à la langue et la culture. Longtemps m'irritèrent ces mamans immigrées dont les enfants traduisaient les plaintes, leur ignorance du français après tant d'années m'apparaissant comme un refus d'intégration. Aujourd'hui mon regard a changé. Leur laisser la bulle d'une langue dans laquelle elles se sentent à l'aise, où elles puissent s'exprimer en toute liberté, dans la nuance et la complexité, équivaut à leur offrir un espace de soins où elles se sentent chez elles, nous invitant à repenser ce que sont la patrie, l'étranger, l'hospitalité. Qui impose sa langue restreint la vision de ce qu'est la santé, et le chemin pour y arriver. Cela mérite un interprète.  
 

Lu dans:
Barbara Cassin. La nostalgie. Quand donc est-on chez soi? Pluriel. Autrement. 2013. 150 pages. Extrait p.132

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