"Assoiffé, j'ai remarqué un beau glaçon qui pendait dehors, j'ai ouvert la fenêtre et je l'ai pris. Un gardien du camp est venu vers moi et me l'a arraché brutalement des mains.
— Warum ? lui ai-je demandé dans mon pauvre allemand.
— Hier ist kein warum, m'a-t-il répondu, et il m'a repoussé vers l'intérieur.
Primo Levi
« Hier ist kein warum. » Ici, il n'y a pas de pourquoi. Les
mots de Primo Levi résument sobrement ce que tentent de créer les
régimes totalitaires, où qu'ils soient: créer un espace où il n'y
aurait pas de pourquoi. Dénoyautant hier des mirabelles,
tâche modeste par excellence que nous offre sans retour un arbre
généreux, mon esprit gambadait sur les promesses de ces autres fruits
merveilleux que sont les petits-enfants: seront-ils artistes, artisans,
aventuriers, commerçants, docteurs, ou créateurs de mondes que nous ne
pouvons même pas imaginer? Quel trésor que ce plat de mirabelles et
cette balade dans tous nos possibles, cet espace préservé où nous sont
permis tous les pourquoi , et surtout les pourquoi pas? Et
si c'était à ce bonheur simple mais précieux que rêvaient au même
moment ces 650 naufragés entassés à l'aéroport de Kaboul dans un avion
cargo à destination d'Abou Dabi, privilégiés car rescapés?
Lu dans:
Santiago Amigorena. Le ghetto intérieur. Folio. P.O.L. 2019. 180 pages. Extrait p.191
Santiago Amigorena. Le ghetto intérieur. Folio. P.O.L. 2019. 180 pages. Extrait p.191
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