"Je venais d'assister au derby de caisses à savons pour adultes de Portland. Après la compétition, j'étais parti me promener sur les contreforts du Mont Hood. M'écartant un peu du sentier, j'entendis bientôt le son de voix humaines qui se rapprochaient. Ces randonneurs inconnus ne parlaient pas, pas plus qu'ils ne chantaient. Au bout de quelques secondes, je compris qu'ils s'efforçaient d'imiter le vrombissement d'un moteur à deux temps. Du haut d'un rocher, j'aperçus un homme et une femme qui couraient sur le sentier les mains tendues devant eux, comme s'ils agrippaient un guidon de moto. Lorsque leurs voix partaient dans les aigus, ils accompagnaient cette modulation vocale d'une torsion du poignet droit. Au moindre rebond de leur parcours imaginaire de motocross, ils tendaient le postérieur vers la droite ou la gauche, comme s'ils exécutaient une figure avec leur roue arrière. (Ils en profitaient aussi pour mettre les gaz à fond.) J'avais surpris ce couple d'âge moyen dans son univers secret, s'adonnant aux joies de l'équivalent motorisé du solo de guitare imaginaire. Manifestement, ils s'amusaient comme des fous, en tout cas plus que la bienséance ne le permet à des individus de plus de douze ans. "
Matthew B. Crawford
Amusante description, placée par Mathew Crawford en exergue de son
dernier essai, traitant du risque tempéré, indissociable d’une société
démocratique. Ainsi qu'à la nécessité de laisser une place aux plaisirs
urbains non
aménagés, ces joies anarchiques, improvisations créatrices,
plaisirs inefficaces et autres excentricités insouciantes. Qui n'aurait
rêvé d'assister à cette folie douce de ses parents se prenant pour des
motards imaginaires dans les dunes?
Prendre la route. Une philosophie de la conduite. Matthew B. Crawford.
Christophe Jaquet (Traducteur),Marc Saint-Upéry (Traducteur). La
Découverte. 350 pages. 2021. Exergue.
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