"Celui-là, je l'aime bien. Il n'est pas comme les autres. (..) Il
ne pose pas de questions, il ne cherche pas à me faire prononcer
des phrases précises. Il n'a pas l'air étonné quand je lui dis que
je me plais ici. Il n'a jamais l'air étonné. (..) J'aime sa voix
quand il reprend : «Dites, dites comme ça
vient. » Alors je parle et ça me plaît. Je dis les choses qui me
passent par la tête, j'ai l'impression que ça change tout qu'il
soit là, même s'il se tait. Je me rends bien compte que tous ces
mots n'ont parfois pas grand sens, moi-même je ne les comprends
pas toujours, mais ça ne le gêne pas. Un jour, il m'a confié qu'il
n'y avait rien à comprendre, qu'il fallait juste entendre :
entendre ce qui est. (..) J'aime sa manière de ne pas juger, de ne
rien attendre, mais aussi d'accueillir mes paroles."
Charles Pépin.
Dans une autre existence, il m'est arrivé d'enseigner comment
structurer une consultation, traquant avec méthode le symptôme
muet mais
important. Pour les étudiants, la meilleure manière d'obtenir une
cote proche de zéro aurait été de recopier ce court extrait du
philosophe Pépin, qui contient la synthèse de ce qu'il ne faut pas
faire. Mais on enseigne tant de choses, que sans pour autant les
renier, on contourne ... car le désordre s'avère
parfois n'être qu'un ordre différent. Un jour notre aîné - il
devait avoir 4 ou 5 ans - vida ses poches à la demande de ses
frères, une caverne d'AliBaba. Une ficelle, une clé, un carnet,
une boussole, un crayon, un caillou, un mouchoir, une bille, un
soldat, une auto, une fleur pour maman, un sifflet, un coquillage,
un clou, une pomme de pin, une mignonnette Côte d'Or. Il en avait
des poches le bougre, et les laisser vides lui paraissait
impensable. Le récit qui accompagnait chacun de ces trésors nous
révélait un jardin intérieur que nous n'aurions pu découvrir lors
d'un simple interrogatoire. Rien de structuré dans ce déballage sur
l'herbe, mais quelle richesse! Et si dans certains cas "Dites,
dites comme ça vient" méritait davantage qu'un zéro sur vingt?
Lu dans:
Charles Pépin. La joie. Gallimard 2014. Folio 6122. 186 pages.
Extrait pp. 180,181