"Mon vieux à moi, tous les mois
Va à tout petits pas
Empocher sa pension
Il se ménage au retour
Un détour insolite
Chez le glacier du coin.
Quand je serai vieux et tout seul
Demain ou après demain
Je voudrais comme celui-là,
Au moins une fois par mois
Avec mes sous, si j'en ai
M'acheter une glace à deux boules
Et rêver sur leur saveur
A un monde rempli d'enfants."
François Béranger
Une journée chez les vieux, de maison de repos en maison de la
mémoire: en additionnant leurs âges on arrive à Jésus-Christ. Qui a dit
que les vieux sont malheureux? J'en ai dépassé un savourant une glace
Miko Moka améliorée d'une Chimay bleue, pendant qu'un autre chantonnait
doucement en coloriant soigneusement les pages d'un livre de dessin. Il
avait été cadre européen au Diners Club International, et je compris en
admirant le soin qu'il mettait à son œuvre de coloriage pourquoi il
était arrivé à ces hautes fonctions. Ni rancœur ni questions sur le sens
des choses, seul semblait compter ce présent apaisé. Dans la chambre
voisine, une résidente chantait en boucle "C'est rire, c'est rire qu'il
nous faut", une autre invoquait inlassablement "ô Dieu, Seigneur
miséricordieux, écoute ma prière". La dernière de la tournée, quasi
centenaire, connue de quarante ans, réclame son bisou "car je vous aime
bien vous savez". Quand ne reste que l'essentiel, l'expression de la
sérénité prend mille voies différentes, et aucune ne m'est apparue
risible. Et on s'interroge, où se cache donc la poche de bonheur, si
difficile à atteindre parfois quand on a tout, santé, beauté, métier,
argent, jeunes enfants? Serait-elle comme la bosse du chameau, source
accessible en seule zone aride quand l'eau de raréfie?
Lu dans:
François Béranger. Les vieux.
1973.
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