Un historien m’a dit un jour : « Dans ma discipline aussi, on ne sait jamais de quoi hier sera fait. »
Jean Claude Ameisen
On imagine le passé figé comme les draps empilés dans la garde-robe,
ou l'armée d'argile enterrée à Xi'an dans le mausolée de l'empereur Qin.
Jusqu'à l'arrivée d'une lettre, d'un coup de téléphone, d'un post sur
Facebook, d'un cahier au fond d'une cave bouleversant l'architecture de
notre existence. Telle découvre l'existence d'un père ignoré, l'orphelin
cambodgien apprend que sa famille décimée a survécu sans lui et mène un
existence normale dans la maison familiale, ce veuf éploré est informé
par le notaire que son épouse avait été mariée précédemment sans qu'il
le sache, cette maman ayant dû abandonner son bébé durant son transfert
vers les camps apprend qu'il est vivant, en Autriche, mais malade et
qu'il la recherche. Il mourra six mois après leurs retrouvailles. La vie
des hommes est un roman où passé et présent s'interpénètrent sans
cesse, se réécrivant l'un l'autre. Comme l'écrit Pascal Quignard "rien
n'est plus mouvant que le passé. Le présent ne cesse de réordonner ce
qui l'alimente."
Rien n'est moins sûr en somme que le socle de nos vies, mêmes les
plus banales, sans lettre ou cahier explosifs. Sans cesse nous nous
réapproprions des images, des souvenirs, des conversations aussitôt
réinterprétées par l'émotion du présent. Rangées à nouveau,
transformées, elles réécrivent un nouveau passé ni plus faux ni moins
fiable qui redevient notre histoire. On était fils de prince, on devient
fils d'explorateur, ou de Gavroche, ou de héros. Laissez parler les
gens: ils vous racontent des récits fabuleux.
Lu dans :
Jean-Claude Ameisen. Savoir, penser, rêver. Flammarion. 2018. 288 pages.
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