"Car c'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer."
Amin Maalouf
Ce Belge de souche n'aime pas "les singes", qu'il appelle aussi
les bronzés ou les basanés. Son voisin préfère le terme "Norvégiens". Ce Français installé à Bruxelles n'apprécie guère
les Algériens, mon épicier turc se méfie des Kurdes de Saint
Josse, les Flamands se récrient quand on les rapproche des
Hollandais émigrés à Anvers. Ce qui les unit est qu'ils redoutent
tous de rencontrer un Noir dans l'obscurité. Ils partagent les
mêmes misères de corps et d'âme, les mêmes espoirs pour l'avenir
de leurs enfants, les mêmes plaies secrètes. Ils possèdent presque
tous une carte d'identité belge, bénéficient d'une sécurité
sociale et habitent dans un rayon d'un kilomètre autour du
cabinet. Sauf ce couple de Polonais en attente impatiente de
naturalisation et qui se lance dans une virulente diatribe "contre
ces Albanais à qui tout est accordé ici en Belgique". Ou comment
une banale consultation permet de mesurer avec effroi
l'émiettement d'une société qui part en capilotade, et qui
n'enrobe désormais plus son discours clivant d'aucune précaution
oratoire. La peur de l'autre coule à l'air libre.
Lu dans:
Amin Maalouf. Les Identités meurtrières. Grasset. 1998. 216 pages
1 commentaire:
"La peur de l'autre coule à l'air libre." Terrible portrait d'une époque qui passe d'Obama à Trump, sommes-nous entrés dans l'ère des antimodèles ?
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