"On va me dire que j'exagère? Autant par désoeuvrement que dans le but de vérifier la disponibilité du titre que j'ai choisi, je tape sur Google "éloge de la paternité" - et la réponse que j'obtiens en ce mois de septembre 2009 justifierait à elle seule, si nécessaire, ce projet: «Essayez avec cette orthographe : éloge de la maternité.» Déjà moins désoeuvré et un brin amusé, je tape comme on veut voir au poker «instinct de paternité». Google me propose de recommencer «avec cette orthographe : instinct de maternité».
Betrand Leclair. Petit éloge de la paternité.
Quatre ami(e)s - qui ne se connaissent pas - me partagent cette semaine
des lignes denses sur la mort de leur père, inspirées par l'un ou
l'autre CaféJournal récent. L'amusante réflexion de Bertrand Leclair sur
cet insaisissable instinct de paternité me ramène à ma propre
difficulté d'émerveillement face à mes enfants ou petits-enfants à leur
naissance. Vaguement coupable de me sentir si peu père, il me fallut
bien des années pour construire patiemment cette relation pourtant si
forte maintenant qu'ils sont adultes. La lecture d'Elie Wiesel, détenu
avec son père à Buchenwald, est éclairante de cette relation si complexe
qui ne s'épanouit pleinement que dans l'égalité de deux adultes, dont
l'un reste le père, l'autre le fils, dont on ne sait lequel apporte le
plus à l'autre.
"Si j'étais motivé, c'était essentiellement par la présence de mon père. Au camp, nous étions proches, plus proches que jamais. Parce que nous étions peut-être les derniers survivants de notre famille? Il y avait autre chose : nous étions plus unis parce que, mon père, je l'avais enfin pour moi tout seul. A la maison, dois-je rappeler, il s'absentait trop souvent. Au camp, je le voyais du matin au soir, du crépuscule à l'aube; je ne voyais que lui. Nous dépendions l'un de l'autre: il avait besoin de moi comme j'avais besoin de lui. A cause de lui, je voulais vivre; à cause de moi, il essayait de ne pas mourir. Tant que j'étais en vie, il se savait utile, peut-être même indispensable. Face à moi, il était l'homme, le père d'autrefois, responsable d'un être, d'une vie. Moi parti, il aurait perdu son rôle, son autorité, bref: son identité. Et inversément: sans lui, ma vie n'aurait plus eu ni sens ni but. Moi, j'ai tenu grâce à mon père. Sans lui, je me serais effondré. Il me suffisait de le voir, se traînant d'un pas lourd, à la recherche d'un sourire, pour que je le lui offre. Il était mon point d'appui, mon ballon d'oxygène, comme j'étais le sien.Souvent je ferme les yeux, uniquement pour te voir.
Tu t'éloignes ou je m'éloigne, et pourtant. La distance entre nous ne diminue pas.
Je quitte le camp, nous quittons le camp, nous allons vers une nouvelle vie.
Et toi, là-bas, tu n'es qu'une poignée de cendre. Même pas."
Elie Wiesel
Lu dans:
Bertrand Leclair. Petit éloge de la paternité. Folio 5126. Gallimard 2010. 112 pages. Extrait p.45
Elie Wiesel. Tous les fleuves vont à la mer. Mémoires. Seuil. 1994. 562 pages. Extraits pp.105-6, 125
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