22 septembre 2011

L'un et l'autre

"Dans chaque homme, il y a toujours deux hommes, et le plus vrai c'est l'autre."
Jorge Louis Borges

Le vieux Borges rencontre un jeune homme qui lui ressemble étrangement et ne se reconnaît guère: "les pêcheurs à la ligne voient leur passé s'enfuir lentement dans le miroir des rivières sans retour - River of no return..." Les images de nous-mêmes se succèdent par modifications successives et imperceptibles - comme au temps où les images sur pellicule créait le mouvement par de subtiles différences - entrecoupées ci et là de ruptures. Etrangement, ce sont ces accidents dans le film dont on se remémore le mieux et qu'on raconte le soir à la veillée, abandon d'un aimé, perte d'emploi, rêve qui se fracasse.
Ayant perdu toute mémoire, un vieil homme m'a raconté cette semaine le jour précis où son existence s'est arrêtée avec la perte de son emploi, mais aussi ses premières vacances dans le sud de la France sous un bout de toile cousue dont il avait fait une tente. Mises bout à bout ces interruptions du quotidien nous créent une histoire qui se laisse raconter de mille manières selon que l'humeur soit sombre ou ensoleillée. A le voir tout gris, tout cassé, bavant un peu, cherchant ses mots, on éprouve quelque peine à l'imaginer à la Maison du peuple chantant l'Internationale juché sur une chaise, ou descendant sur Avignon à moto. Ce fut lui et c'est toujours lui, successivement.


François Bott. Eloge du contraire. Editions du Rocher. 2011. 104 pages. p. 74

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