23 janvier 2010

En faire toute une histoire

"Alas ! It is delusion all :
The future cheats us from afar,
Nor can we be what we recall,
Nor dare we think on what we are."
"Hélas, tout est illusion,
L'avenir se moque de nous à distance,
Nous ne pouvons ni ressembler à nos souvenirs,
Ni oser nous accepter comme nous sommes."

Lord Byron, Stanzas for Music.

Des théories de la mémoire suggèrent que tout souvenir est une reconstruction, et non un "fichier" que nous puiserions intact dans notre cerveau: celui-ci ne s'apparente guère à un disque dur.  Le même souvenir d'une image, d'une mélodie, d'une saveur ancienne pourrait ainsi être évoqué d'année en année à la fois intact et entièrement différent car remodelé par nos expériences intercurrentes et la signification que nous lui donnons au moment où nous y repensons. L'évocation d'un moment passé n'équivaudrait pas à l'extraction d'une fiche bien rangée mais s'apparenterait davantage à l'aiguille à tricoter que l'on enfile au-travers d'un grand nombre de cartes perforées, des plus anciennes aux plus récentes. On ne peut se raconter sans donner un sens au récit de notre existence et chacun de nos souvenirs nous raconte tout entier. On ne peut que s'extasier devant la prescience d'écrivains, de dramaturges et de poètes (Lord Byron ici, mais Proust écrivit de superbes pages sur le sujet) à exprimer en beauté ce que de savantes études démontrent parfois bien plus tard. 


Lu dans
Jacques Attali. Une brève histoire de l'avenir. Fayard.  2009. 422 pages.  p.7 

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