"Il faut imaginer Sisyphe heureux."
A Camus
Une récente enquête sur notre bonheur en classe les principales causes de 1. (passer une bonne nuit) à 50. (faire pèter sous ses doigts les petites bulles en plastic des emballages d'objets fragiles). On y retrouve l'inévitable câlin mais aussi la commande d'une pizza le soir en rentrant du boulot. La même page de journal commémore le décès il y a 50 ans d'Albert Camus, philosophe de l'absurde et du bonheur. Nous vibrions à la lecture de ces lignes ardentes sur le destin personnel du héros quotidien qui se sait le maître de ses jours. "A cet instant subtil où l'homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d'actions sans lien qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par sa mort. Ainsi, persuadé de l'origine tout humaine de tout ce qui est humain, aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n'a pas de fin, il est toujours en marche. Le rocher roule encore. Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux."
Les auteurs décrivent leur époque en quelques mots denses mieux qu'aucune encyclopédie. Au "Mythe de Sisyphe" de Camus fait écho "La première gorgée de bière et autres plaisir minuscules" de Philippe Delerm. On ne départagera point: à chaque époque son (ses) bonheur(s).
Lu dans
Albert Camus. Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942.