22 août 2006

chasser moutonnement, chasser férocement

"JOSEPH-DÉSIRÉ: Des maladroits, il y en a toujours eu, surtout pour l'achèvement des blessés. Si tu es né avec un caractère timide, c'est difficile de le changer, en pleines tueries dans les marais. Alors, ceux qui se sentaient à l'aise épaulaient ceux qui se sentaient gênés. Ce n'était pas conséquent du moment que ça continuait.

IGNACE: Il ya ceux qui chassaient moutonnement, ceux qui chassaient férocement. Ceux qui chassaient lentement parce qu'ils étaient apeurés; ceux qui chassaient lentement parce qu'ils étaient paresseux; ceux qui cognaient lentement par méchanceté et ceux qui cognaient vite, pour terminer le programme et pour rentrer plus tôt, à cause d'une autre activité. Ça n'avait pas d'importance, c'était chacun sa technique et son caractère.

JOSEPH-DÉSIRÉ: C'était une folie qui roulait sans plus être dirigée. Tu courais devant ou tu t'écartais au passage pour ne pas être bousculé, mais tu suivais la multitude. Celui qui était lancé la machette à la main, il n'écoutait plus rien. Il oubliait tout et en premier lieu son niveau intellectuel. Le programme répété nous dispensait de réfléchir à ce qu'on faisait. On allait et on revenait, sans croiser une idée. On chassait parce que c'était le programme de nos journées, jusqu'à ce qu'il soit terminé. Nos bras commandaient nos têtes, en tout cas nos têtes ne disaient plus leur mot."

Jean Hatzfeld. Une saison de machettes.

La lecture hier soir d'une trentaine de pages de récit de génocidaires lors de la tuerie du Rwanda ne peut laisser indifférent. La journée est avancée, et je me surprends à m'assoupir dans le fauteil de ma lecture, pour me réveiller en sursaut empêtré dans un horrible cauchemar où les tueurs sont ces voisins banaux qui m'entourent. On croit réentendre Hannah Arendt, fougueuse envoyée de presse aux procès nazis, constatant l'horrible vérité de la banalité du mal. Envoyée au procès d'Eichman, Hannah Arendt récuse le plaidoyer du procureur. Elle soutient au contraire qu’Eichmann n’était pas un méchant, un démon, un monstre ou encore un être inhumain, mais un homme ordinaire, normal. Bien que les faits aient été monstrueux, Eichmann ne peut être considéré comme un monstre.
La seule caractéristique décelable dans son passé comme dans son comportement dans le procès était un fait négatif : ce n’était pas de la stupidité mais une curieuse et authentique inaptitude à penser. On relit à ce stade le roisième fragment de témoignage de Joseph-Désiré: l'histoire bégaie.
Eichmann est caractérisé par l’absence de pensée et par l’usage constant d’un langage stéréotypé, de clichés standardisés. C’est, de plus, un employé modèle, un bureaucrate méticuleux. Toute "la saison des machettes" , 50 ans plus tard, n'écrit rien d'autre.
Je me réjouis déjà de découvrir après cette lecture le sensible ouvrage Grâce et dénuement d'Alice Ferney, que la poste vient de me déposer ce midi.

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

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