08 septembre 2005

Georges, au revoir la visite buissonnière



Une dernière fois Georges est allé marcher dans la mer, laissant les embruns gifler son visage de vieux boucanier, cassant de ses mollets aux chausses retroussées les vagues immortelles. Il se sait atteint d’un mal torpide et célèbre avec une joie sourde cette ultime baignade.

Tout dans le monde qui nous crée est le siège d’une répétition éternelle et rassurante : le retour du printemps, l’heure d’été, la fragilité des perce-neige, la splendeur mordorée des feuillages mosans à l’automne. La neige immaculée et le soleil pâle à travers les arbres nus. La pleine lune. Le retour des cigognes.

L’être humain se rassure comme il peut, jouant lui aussi à la répétition : célébration joyeuse des anniversaires, des fêtes liturgiques, des premières dents, des premières règles, des premiers salaires. « A l’an prochain, à la même heure » paraît être la devise d’une humanité de fêtards prenant congé les uns des autres au terme d’une année. Derrière les embrassades perce sans doute un zeste d’inquiétude, vite neutralisé par les rires et les pétards : si c’était la dernière fois? Où suis-je sur mon échelle du Temps, ce projet entamé serait-il le dernier, de combien de cailloux dispose encore le Petit Poucet qui dort en chacun de nous?

Nous sommes des créatures appelées à vivre un nombre incalculable de « dernières fois ». La dernière poussée dentaire, la dernière joie de l’enfantement, la dernière fois qu’on donne son sein chaud à téter à son dernier bébé, les dernières règles, la dernière fois à faire l’amour, la dernière cueillette des mirabelles, si juteuses et si parfumées cette année qu’on se dit qu’après en avoir goûté de pareilles on a connu le bonheur sur terre. Le dernier envol des canards sauvages. La dernière fois qu’on défait le lit de la petite dernière qui quitte la maison pour de bon avec son amoureux. La dernière fois qu’on pleure de bonheur en apprenant une naissance.

Petits deuils d’une existence, que je vous aurai appréciés. Mis bout à bout, ils portent un nom sublime : le bonheur. Ce fut celui d’une écriture depuis de longues années, sous un pseudo autorisant une transparence et une sincérité sans faille, des émerveillements quotidiens d’un simple généraliste. Les visites buissonnières racontaient la vie, d’emblée donc on savait qu’il y aurait une dernière fois. Toutes les fins ont quelque chose de magique : on est heureux, et on pleure à la fois. Merci aux innombrables lecteurs qui au fil des semaines nous ont encouragés de la parole ou de l’écrit. Ce dernier billet leur est dédié, comme un foulard qu’on agite au loin pour s’assurer qu’on ne s’oubliera pas.

Zénon.

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