Une dernière fois Georges est allé marcher dans la mer, laissant les embruns gifler son visage de vieux boucanier, cassant de ses mollets aux chausses retroussées les vagues immortelles. Il se sait atteint dun mal torpide et célèbre avec une joie sourde cette ultime baignade.
Tout dans le monde qui nous crée est le siège dune répétition éternelle et rassurante : le retour du printemps, lheure dété, la fragilité des perce-neige, la splendeur mordorée des feuillages mosans à lautomne. La neige immaculée et le soleil pâle à travers les arbres nus. La pleine lune. Le retour des cigognes.
Lêtre humain se rassure comme il peut, jouant lui aussi à la répétition : célébration joyeuse des anniversaires, des fêtes liturgiques, des premières dents, des premières règles, des premiers salaires. « A lan prochain, à la même heure » paraît être la devise dune humanité de fêtards prenant congé les uns des autres au terme dune année. Derrière les embrassades perce sans doute un zeste dinquiétude, vite neutralisé par les rires et les pétards : si cétait la dernière fois? Où suis-je sur mon échelle du Temps, ce projet entamé serait-il le dernier, de combien de cailloux dispose encore le Petit Poucet qui dort en chacun de nous?
Nous sommes des créatures appelées à vivre un nombre incalculable de « dernières fois ». La dernière poussée dentaire, la dernière joie de lenfantement, la dernière fois quon donne son sein chaud à téter à son dernier bébé, les dernières règles, la dernière fois à faire lamour, la dernière cueillette des mirabelles, si juteuses et si parfumées cette année quon se dit quaprès en avoir goûté de pareilles on a connu le bonheur sur terre. Le dernier envol des canards sauvages. La dernière fois quon défait le lit de la petite dernière qui quitte la maison pour de bon avec son amoureux. La dernière fois quon pleure de bonheur en apprenant une naissance.
Petits deuils dune existence, que je vous aurai appréciés. Mis bout à bout, ils portent un nom sublime : le bonheur. Ce fut celui dune écriture depuis de longues années, sous un pseudo autorisant une transparence et une sincérité sans faille, des émerveillements quotidiens dun simple généraliste. Les visites buissonnières racontaient la vie, demblée donc on savait quil y aurait une dernière fois. Toutes les fins ont quelque chose de magique : on est heureux, et on pleure à la fois. Merci aux innombrables lecteurs qui au fil des semaines nous ont encouragés de la parole ou de lécrit. Ce dernier billet leur est dédié, comme un foulard quon agite au loin pour sassurer quon ne soubliera pas.
Zénon.
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